Mon cher grand frère, après plusieurs années de bataille contre une maladie qui malmène encore le monde scientifique, et juste quelques semaines après ton intronisation comme chef de Canton Ngam à Bafia, notre Seigneur a tranché en te rappelant en toute sérénité auprès de lui le 29 juin 2024. Lors de la préparation d’une confé- rence panafricaine en 2022, j’avais fait la revue de ta biographie et noté que tu avais commencé ta carrière en 1986 à la suite de ton intégration à la fonction publique camerounaise en qualité d’ingénieur de la statistique au Ministère du Commerce et de l’Industrie. Tu as gravi les échelons d’Attaché à la Direction de l’Industrie en 1986 à Chef de Division de la Normalisation et de la Qualité de 2006 à 2009. Depuis ta nomination en 2009 comme Directeur Général de l’Agence des Normes et de la Qualité (ANOR) du Cameroun jusqu’à la remise de ton esprit entre les mains du Seigneur le 29 juin 2024, tu as réellement été l’ingénieur en chef d’une politique technologique basée sur les meilleures normes internationales d’une part, et le principal architecte d’une société camerounaise en quête permanente de qualité, d’autre part.
Dans le cadre de tes obsèques les 9 et 10 août 2024, il est de mon devoir de te rendre un dernier hommage mérité en mettant exergue aux yeux du monde, deux axes sélectionnés dans ton œuvre créatrice pour illustrer ta valeur distinctive pour les communautés camerounaise et africaine.
1. réFéreNceS D’UN DiriGeANt et LeADer recONNU DANS LA FiLière iNterNAtiONALe De LA qUALité
En 15 années environ de direction de l’ANOR, tu as accumulé des performances, des références et de l’expérience notamment dans les domaines de la qualité, la normalisation, la métrologie légale et industrielle, l’accréditation, la réglementation technique, l’évaluation de la conformité, la certification, la surveillance du marché, la sécurité et la protection du consommateur et du citoyen. Dans ce cadre, tu as assumé de hautes fonctions au niveau des organismes tant régionaux qu’internationaux. Tu as notamment été Coordonnateur du Comité FAO/OMS du Codex Alimentarius pour l’Afrique de 2012 à 2016, Vice-Président de l’Organisation Africaine de normalisation de 2016 à 2019 et finalement Président de l’Organisation Africaine de la Normalisation (ARSO) de 2019 à 2022. Au moment où le Seigneur te rappelle auprès de lui, il te décharge du poste de Directeur Général de l’ANOR, de la responsabilité de Vice-Président de l’Institut de Normalisation et de Métrologie des pays Islamiques (INMPI) occupée depuisfévrier2022etaussidesfonctions de Vice-Président du Réseau Normalisation et Francophonie (RNF) exercées depuis 2014.
2. iNGéNieUr eN cheF D’UNe POLitiqUe techNOLOGiqUe bASée SUr LeS NOrMeS iNterNAtiONALeS
La technologie représente la combinaison des savoir, savoir-faire et savoir-être codifiés, explicites, tacites et/ou implicites qui sont susceptibles d’être mobilisés dans une activité de conception et de réalisation visant spécifiquement à résoudre un problème en vue de satisfaire un besoin générique ou récurrent de la société. Les technologies sont matérialisées par des droits de propriété intellectuelle et plus spécifiquement les droits d’auteur notamment pour les normes et les logiciels informatiques et les droits de propriété industrielle notamment les brevets d’invention et les licences. La norme fait référence à un document, établi par consensus et approuvé par un organisme reconnu, qui définit ou codifie des exigences, des spécifications, des lignes directrices ou des caractéristiques à utiliser systématiquement pour assurer l’aptitude à l’emploi des matériaux, produits, processus et services. Dans le cycle d’une technologie, la norme intervient comme un instrument majeur de codification de celle-ci en vue de sa diffusion. L’acquisition et la diffusion des technologies sont donc essentiellement réalisées par les transactions sur les brevets d’invention, les licences d’exploitation des brevets et les normes.
Depuis des années, les travaux économétriques permettent de mesurer de l’impact économique des technologies et des normes dans la dynamique de croissance économique d’un pays. Dans cette optique la productivité totale des facteurs (PTF) est décomposée en mettant en exergue deux (2) variables principales :
- la productivité découlant des brevets et licences représentatifs des technologies proprement dites et
- la productivité découlant des normes représentant la diffusion des technologies. Cette décomposition montre clairement que la productivité découlant des normes est quantitativement plus importante que celle des brevets et licences dans le rythme et le volume de la production donc de la croissance économique et la prospérité d’un pays.
S’appuyant sur cette vérité statistique et économétrique établie au plan international, l’ingénieur statisticien Booto à Ngon a migré en ingénieur en chef d’une politique technologique camerounaise tirée par une forte accélération de la normalisation. Dans un contexte des politiques publiques camerounaises où la politique d’industrialisation manque de pertinence et d’efficience, avec un particulier une politique technologique lacunaire, non lisible et non prévisible, il a fallu une forte dose d’ingéniosité à ce digne fils du Mbam pour faire émerger la normalisation et l’apport des normes dans l’économie et la société camerounaises. Pour illustrer le contexte difficile, la revue de l’organisation gouvernementale matérialisée par le décret n° 2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du Gouvernement et les divers décrets organisant les ministères, vous permet de constater que 26 ministères ont des attributions de normalisation, ce qui rend la tâche de coordination laborieuse avec des multiples incompréhensions et même des contradictions.
Pour situer le retard technologique et normatif camerounais, les trois (3) principales organisations internationales de normalisation, l’Organisation International de Normalisation–ISO(portefeuille de 24 776 normes internationales en 2022), la Commission Electrotechnique Internationale –CEI (portefeuille de 11 448 normes internationales en 2022) et l’Union Internationale des Télécommunications –UIT (portefeuille de plus de 4 000 normes internationales en 2022) avaient un portefeuille global de 40 224 normes internationales en fin 2022.
De zéro norme en 2009, l’ANOR comptait déjà dans son portefeuille 6 091 normes camerounaises en fin 2022. L’un des domaines techniques dans lequel nous avons été témoins des efforts substantiels de normalisation de l’ANOR est celui du management de projets, de programmes et de portefeuilles. En 2012, l’ingénieur Booto à Ngon avait décidé d’arrimer les pratiques camerounaises de management de projets aux normes internationales en la matière. Aujourd’hui, l’ANOR compte 8 normes internationales ISO qui ont été adoptées et homologuées comme normes camerounaises, faisant du Cameroun un pays leader en Afrique en matière de normalisation en management de projet. Les efforts incombent alors aux parties prenantes concernées d’utiliser ces normes.
3. PriNciPAL Architecte D’UNe SOciété cAMerOUNAiSe eN qUête PerMANeNte De qUALité
En référence à la norme ISO 9000, la qualité désigne le « degré auquel un ensemble de caractéristiques intrinsèques satisfait des exigences ». Le terme « exigence » dans cette définition est très important pour le concept de qualité et signifie besoin et/ou attente formulés, généralement implicites, ou alors imposés ou contraignants. Il est important de noter que dans divers domaines de la vie économique, politique, sociale, culturelle et environnementale, le terme « qualité » est généralement utilisé avec des qualificatifs tels que mauvaise, médiocre, bonne, excellente ou encore basse, moyenne et haute qualité. Cette différentiation justifie l’usage de la classification ou catégorisation des exigences pour exprimer la qualité des produits, des services, des processus, des systèmes et des compétences.
L’exigence de qualité est transversale dans un pays ou une société pour tous les secteurs et domaines d’activité. L’exigence obligatoire de qualité est en particulier formulée par l’Etat ou les Pouvoirs Publics en vue de garantir aux citoyens un accès sûr notamment aux produits alimentaires, à l’eau potable, à l’énergie, au logement, aux services de santé, d’éducation, de sécurité et de protection de l’environnement. C’est pour cette raison que la garantie de la qualité des produits et services offerts dans une économie est une condition critique pour faciliter le commerce intérieur et extérieur. La qualité est ainsi un enjeu public de premier ordre pour les pouvoirs publics et en conséquence doit faire l’objet d’une politique nationale pertinente et efficiente.
L’arrivée de Booto à Ngon en 2009 pour piloter et diriger l’Agence de la Qualité ayant une compétence nationale constituait l’un de ses défis majeurs à relever. Ce défi apparaissait titanesque dans un contexte dominé par une généralisation systémique et structurelle de la non qualité dans toutes les sphères de la société camerounaise. Cette non qualité étant précisément portée en l’occurrence par la généralisation des pratiques de favoritisme, de tricherie, la corruption, le blanchiment d’argent, la contrefaçon, la fraude, la contrebande ainsi que de multiples pratiques commerciales illicites et non concurrentielles.
Pour relever ce défi, l’ingénieur Booto à Ngon s’est mué en principal architecte, constructeur des fondations solides d’une société camerounaise se détournant de la non-qualité pour s’orienter vers la quête permanente de qualité. Dans cette optique, il a donc mené avec son équipe une bataille acharnée et très rude contre les forces obscures de la non-qualité et l’a finalement remportée avec la signature par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement du décret n°2015/1875/PM du 1er juillet 2015 instituant et fixant les modalités de mise en œuvre du Programme d’Evaluation de la Conformité Avant Embarquement des marchandises importées en République du Cameroun (PECAE).Cette réforme structurelle consacrant l’offre de services de contrôle et de certification de la qualité des produits importés avant leur embarquement pour le Cameroun, a été officiellementlancéelorsdela3ème édition de la Semaine Nationale de la Qualité (SENAQ) qui s’était tenue du 23 au 25 avril 2016 à Douala. Le démarrage de la phase pilote du PECAE a été effectif le 31 août 2016. En fin de compte, la réforme est devenue pleinement effective par la signature le 31 mai 2021 du décret N° 2021/3306/PM étendant l’application du PECAE à quasiment tous les produits importés en République du Cameroun. En pratique, les prestations de services de qualité offertes par l’ANOR dans le cadre du PECAE sont déployées dans le monde en s’appuyant sur trois partenaires qui sont des fournisseurs internationaux des services de qualité à savoir (i) la Société Générale de Surveillance (SGS), entreprise suisse, (ii) INTERTEK Limited, entreprise anglaise et (iii) TÜV RHEINLAND, entreprise allemande.
L’aboutissement de cette réforme qui se traduit par une offre robuste et internationale de services garantissant la qualité à toutes les parties prenantes voulant importer les produits au Cameroun constitue la base d’un modèle économique soutenable et viable pour l’ANOR. Partie de zéro Franc CFA à l’arrivée de l’ingénieur Booto à Ngon Charles en 2009, les réalisations en ressources budgétaires de l’ANOR se situaient à 8 920 millions de FCFA en fin 2023 avec un budget de 13 253 millions de FCFA pour l’exercice2024. La majeure partie des ressources de l’ANOR provient de ses prestations de services de qualité à savoir la quote-part de la taxe d’inspection SGS et les revenus du PECAE. Nous pouvons donc constater l’émergence d’un établissement public créateur de valeur ou de cash-flows propres par ses activités et qui ne grève pratiquement plus les ressources budgétaires de l’Etat. C’est donc en toute logique que le digne et valeureux fils du Mbam s’en va en laissant dans le patrimoine de l’ANOR un terrain au lieu-dit «Voirie Municipale » d’une superficie de 3 000 m2 qui a été acquis à titre gratuit par décret n° 2024/00164/PM du 02 février 2024 en vue de la construction de son immeuble siège.
Mon cher grand frère et ami Booto à Ngon Charles, Roi des Ngam à Bafia, par ton leadership et des capacités managériales établis et reconnus au Cameroun et à l’international, tu as inscrit en lettre de platine ton nom dans l’histoire de la qualité et de la normalisation au Cameroun et en Afrique. Tu dois être fier et dans la joie, tout comme ta femme, tes enfants, ton peuple et le Mbam tout entier. Va et repose en paix. Tu n’es pas mort. Tu es bien vivant et immortel pour des générations et des générations qui scruteront certainement ton œuvre.
Babissakana
Ingénieur Financier, Laïc Spiritain
Associé
Yaoundé, Cameroun, le 05 août 2024