L’enquête menée dans la capitale économique camerounaise fait un constat choquant. Tous les acteurs, à savoir les moto-taximen, les officiers de police et les assureurs, sont unanimes sur le fait que l’assurance ne rassure pas dans une activité de précarité. Il n’en demeure pas moins vrai que cette pièce reste nécessaire dans le cadre de la prise en charge des accidentés. Les raisons de ce manque d’intérêt pour les assurances sont expliquées par les acteurs eux-mêmes.
Carrefour Ndokoti à Douala, capitale économique du Cameroun. Il est 15 heures ce jeudi 12 décembre 2024. Un groupe de personnes sont agglutinées autour de deux hommes qui se disputent. L’un est conducteur de moto-taxi (transporteur de personnes par moto) et l’autre un chauffeur d’un véhicule 4×4. « Le conducteur de moto-taxi a voulu traverser la route sans attendre que le policier cède la voie, dans son élan il a cassé les feux arrière du véhicule », raconte un vendeur ambulant.
Face à la scène et au constat du policier, le conducteur de moto-taxi est en faute et doit dédommager le chauffeur du véhicule. En position de faiblesse, le conducteur de l’engein à deux roues supplie. Le policier en profite pour lui demander ses pièces d’identification. Il n’a à sa possession ni le permis de conduire, ni la carte grise, encore moins l’assurance, pour ne citer que ces pièces importantes. Tout ce qu’il possède sur lui, c’est le récépissé de la carte nationale d’identité. « Ce n’est pas suffisant », martèle l’officier.
Des cas similaires et bien plus graves encore sont courants dans la ville de Douala. Et en cas d’accidents graves, généralement ces conducteurs de motos-taxis n’assument pas, faute de moyens. « Il ne se passe pas un jour sans qu’un poste de police de la ville de Douala n’enregistre un accident de circulation dans la ville. Et depuis que je suis en fonction, ça fait plus de 10 ans, je n’ai jamais vu un conducteur de moto-taxi assumer sa faute et payer pour le dommage causé. La raison c’est qu’ils n’ont pas d’abord d’assurance », témoigne un agent de la circulation routière rencontré au quartier Akwa à Douala.
Dans les hôpitaux, le constat est identique. « Nous recevons beaucoup d’accidentés en rapport avec les moto-taxis. La plupart n’ont pas d’assurance. C’est très difficile pour eux de payer leurs soins, surtout que la plupart du temps c’est la police qui les emmène ici, après ils sont abandonnés à eux-mêmes », témoigne le major des services des urgences de l’hôpital Laquintinie de Douala, Daniel Kwete.
En effet, ils sont nombreux à Douala, ces conducteurs de motos-taxis, vulgairement appelés « Benskineurs », qui n’ont pas d’assurance. Cette pièce pourtant prioritaire est rare parmi les dossiers recommandés par le ministère des Transports du Cameroun.
Les raisons d’un désintérêt
Benjamin Tapi est un conducteur de moto-taxi. Le jeune homme âgé de 34 ans exerce cette activité depuis pratiquement cinq ans. A la question de savoir s’il possède une assurance automobile, il répond négativement. La raison est qu’il n’a pas de permis de conduire catégorie A, comme cela est exigé au conducteur de moto au Cameroun. « En réalité, je n’ai pas d’assurance. Et comme je n’ai pas de permis, je n’ai pas pensé à le faire », fait-il savoir. Il n’est d’ailleurs pas le seul « Benskineur » dans cette situation. Romuald, un autre conducteur de moto-taxi rencontré au quartier village à Douala est dans la même situation. Lui aussi n’a pas de permis. Depuis trois ans qu’il exerce le métier de moto-taximan, il n’a jamais pensé à obtenir un permis malgré les mesures de répression mises en place par le gouvernement camerounais. Car, la loi de 2013 fixant les conditions et les modalités d’exploitation des motocycles à titre de transport, énumère la liste des pièces exigibles pour exercer ce métier. « Pour exercer l’activité de moto-taxi, il faut une Carte nationale d’identité, un permis de conduire A, une chasuble, une immatriculation de la moto à cela s’ajoute les licences S2 et l’assurance », liste Audrey Melaine Foh, Chef service régional des transports routiers au ministère des Transports.
Pour ceux-là qui possèdent tout de même la majorité de ces pièces, l’assurance automobile est toujours rare. « J’ai un permis de conduire. Mais je n’ai pas d’assurance », assume Sévérin, un conducteur de moto-taxi rencontré au quartier Akwa à Douala. Pour justifier l’absence de ce document dans son sac, il dit qu’il est inutile. « L’assurance ne nous a jamais aidé. A chaque fois qu’un accident de la circulation survient, nous sommes toujours abandonnés à nous-même. J’ai vu plusieurs cas. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas souscrit à une assurance automobile », indique-t-il. A la question de savoir s’il n’est pas inquiet en cas de contrôle, il affirme : « les policiers ou les agents de la Communauté urbaine de Douala ne demandent pas très souvent cette pièce, il se concentre plus sur le permis et la carte grise ».
Même son de cloche avec Adamou Khali, un conducteur de moto-taxi de nationalité centrafricaine qui travaille à Douala depuis quelques années. « Je n’ai pas d’assurance et on ne me l’a jamais demandé. L’obligation c’est d’avoir un permis de conduire et une carte grise », indique-t-il. Parfois même ces documents, la plupart des conducteurs de motos-taxis ne les ont pas. Et pour contourner cette règle, il se rapproche des syndicats de motos-taxis pour obtenir des tickets et des chasubles afin de circuler et d’exercer leur activité librement dans la ville. « Nous versons auprès des syndicats 2000 Fcfa par semaine, tu as droit à 20 tickets pour te permettre de circuler dans la ville », avoue Benjamin Tapi.
Parmi les 30 conducteurs de motos-taxis avec qui nous avons échangé, aucun d’eux ne possède d’assurance automobile. Pour comprendre cette situation, nous nous sommes rapprochés des leaders syndicaux et organisations des motos-taxis de la ville de Douala.
Un problème de volonté
« L’assurance au Cameroun ne sert vraiment pas à grand-chose aux motos-taximen en cas d’accident. La plupart n’ont pas de permis A et le plus difficile c’est d’avoir ce permis. En plus, beaucoup sont analphabètes. Et pour avoir l’assurance il faut avoir un permis. Avant il y avait un permis spécial A pour cette catégorie de personnes. Malheureusement depuis 2020 que le syndicat a réussi à amener plus de 25000 motos-taximen à faire le permis spécial A, en 2023 le ministère des Transports à juger qu’il ne gagne pas et a arrêté, donc retour à la case départ », renseigne Christian Tchokomeni Leader syndical.
Le seul obstacle qui se dresse en effet entre le conducteur de moto-taxi et l’assurance c’est le permis de conduire. Cependant, même ceux qui possèdent cette pièce ne sont pas pressés d’obtenir une assurance. « Ils se disent que cela ne leur sert à rien », confirme Chris Aubin, assureur à Prudential Beneficial Insurance.
A l’en croire, ce n’est pas le prix de l’assurance qui dérange. L’assurance automobile coûte entre 18.000 F et 32.000 Fcfa en fonction de l’engin ou de la compagnie d’assurance. La marge n’est pas très grande. « Ce n’est pas un problème de prix. Les conducteurs de motos-taxis n’ont juste pas de volonté », indique l’assureur. Généralement, la plupart des conducteurs de moto qui possèdent une assurance automobile sont les conducteurs personnels. « Ceux-là sont conscients qu’ils doivent être assurés. Et ils ont généralement tous les papiers », soutient Hilde Willems, Directrice Intégration and Change Managament, Health Business Unit chez SanlamAllianz.
A Douala, il existe 35 syndicats de motos-taxis. D’après Willy Kengne, porte-parole des leaders des motos-taxis de la ville de Douala, par ailleurs Président national du Syndicat des conducteurs professionnels des motos-taxis du Cameroun (Sycopromotac), près de 800 000 personnes exercent dans ce secteur d’activité, mais seulement 400.000 sont reconnues au niveau des syndicats. Et « le nombre de conducteurs de motos-taxis qui n’ont pas d’assurance est faible. Plus de 90% des motos-taxis n’ont pas d’assurance automobile. Je peux affirmer que seulement 5% ont une assurance personnelle », relève le Président national du Sycopromotac.
Ce dernier accuse également les compagnies d’assurance d’être responsables de cette situation. « Le conducteur de moto-taxi est très souvent abandonné à lui-même par l’assureur lorsqu’un accident survient. Il lui est rappelé que son assurance ne peut pas le couvrir avec ses passagers. C’est pourquoi certains n’ont pas d’assurance. Donc, on se dit qu’on paie parce qu’on veut fuir la police ou les contrôles… », se désole-t-il.
Importance de l’assurance automobile
Pourtant, du côté des assureurs, ils rassurent sur l’importance de ce document et les avantages qui en découlent. « L’assurance automobile c’est la preuve que l’assureur a à faire à un assuré dans le cadre d’un événement, souhaité ou non souhaité, de façon périodique ou annuelle. Il a trois garanties principales : la responsabilité civile, la défense recours et la protection des passagers », cite Chris Aubin.
La responsabilité civile est la garantie principale dans une assurance automobile. Elle couvre les dégâts causés par le véhicule à autrui ou à son bien. « Si tu cognes la voiture de quelqu’un ou un bien appartenant à une autre personne, les réparations qui sont dues aux dommages causés sont entièrement prises par l’assureur », explique-t-il.
« Avec les motos-taxis on avait un souci dès le départ, pas au niveau de la prime, parce qu’elle est très raisonnable pour les motos-taxis. Mais chacun devait venir déposer sa prime. Donc il faut qu’on trouve une solution correcte pour que ça se fasse d’une manière globale, quelqu’un qui chapeaute toute cette communauté de motos-taxi », ajoute Hilde Willians. Et d’indiquer également qu’au niveau de SanlamAllianz, ils sont en train de mettre en place des solutions digitales pour le paiement rapide des sinistres.