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Des mécanismes pour booster les recettes pétrolières du Cameroun

Outre la diminution de des pertes sur livraisons physiques à l’exportation qui est une piste à explorer, un accent doit être mis sur la fraude fiscale au plan interne.

Malgré une hausse de sa production de 32,8 millions de barils équivalent pétrole (BEP) entre janvier et octobre 2020, dont 22,354 millions de barils de pétrole brut, soit une hausse de 5,05% par rapport à la même période en 2019, l’Etat camerounais n’a vendu que 13,517 millions de barils de pétrole au 31 octobre 2020, soit une baisse de 2,03% selon le communiqué publié par la Société nationale des Hydrocarbures (SNH) au terme de la deuxième session de son conseil d’administration tenue entre le 19 et le 26 novembre dernier. « Les ventes effectuées par la SNH après déduction des charges ont permis de générer 262,678 milliards de Fcfa de recettes pour l’Etat. Cette somme est en diminution de 33,10% par rapport à Octobre 2019, dans le sillage de la chute des cours sur le marché mondial, soit une baisse de 36,06% pour le Brent Daté, brut de référence des pétroles camerounais », indique la SNH. L’entreprise affirme avoir reversé à l’Etat « 11,271 milliards de Fcfa au titre de l’Impôt sur les sociétés (IS), 10 milliards de Fcfa de dividendes et divers impôts et taxes pour un montant de 3,695 milliards de Fcfa. Sur un autre plan, le Pipeline Tchad-Cameroun a généré pour l’Etat, des recettes de 30,707 milliards de Fcfa au titre des droits de transit ». D’après la loi de Finances pour l’exercice 2020, 468 milliards de Fcfa étaient attendus des revenus pétroliers. Ce montant est en baisse par rapport aux 531 milliards de Fcfa de l’exercice précédent. Il a été réduit à 286,7 milliards de Fcfa. Il est projeté en 2021, des revenus de l’ordre de 418 milliards de Fcfa. Les prévisions de clôture indiquent une production de pétrole brut de 26,548 millions de barils et de 2119,015 millions de mètres cubes pour le gaz naturel.

Mesures au plan international

Selon Martin Eyebe Soppo, directeur général d’Actif Finance Internationale, spécialiste des places boursières et des marchés financiers, le Cameroun peut accroître ses revenus pétroliers malgré la conjoncture actuelle. « Nous pouvons conseiller à l’Etat pour participer à la discipline économique et budgétaire, de se pencher sur une diminution de pertes sur les livraisons physiques des matières premières », suggère t-il. Concrètement, « sur les marchés de livraison du pétrole brut nous avons perdu, à une époque, près de 50% sur les valeurs des contrats. Imaginons un contrat de 200 millions pour lequel nous ne connaissons pas la variation du coût à la livraison. Nous souhaitons ne pas perdre sur sa valeur au terme de la livraison. Alors, on va se tourner vers le Forex , un couloir de marché qui transactionne en volume, plus de 5 000 milliards de dollars par jour. On va choisir un gisement. Il s’agit ici pour faire simple, d’un portefeuille qui correspond à la valeur du contrat que nous allons acheter en payant une prime de 4%, soit 8 millions par rapport à sa valeur. Et nous allons prendre une position, ou si vous préférez, on va miser sur la baisse des cours. Comme nous sommes sur les marchés à termes, chaque fois que le cours baissera, on gagnera en pourcentage sur 200 millions valeur du gisement choisi. A l’échéance, ces gains vont compenser les per tes enregistrées sur la livraison du produit physique. Au dénouement on n’aura perdu qu’une faible variation, mais pas 50% », explique-t-il. Selon lui, ce procédé est utilisé par des grandes firmes pétrolières mondiales. « Toutes les grandes firmes pétrolières le font et leurs états respectifs ne perdent pas plus de 2 voire 3% au maximum sur ces volumes de transaction qui peuvent s’appliquer à toutes les matières premières. Ce type de mécanisme permet aussi, de diminuer de manière significative la carence de devises sur notre marché monétaire et participe aussi à prôner l’orthodoxie souhaité par le Premier ministre », conclut-il.

Au plan interne

En outre, la loi de Finance 2021 a prévu des dispositions relatives au paiement par les marketers, d’une Taxe spéciale sur les produits pétroliers. L’article 235 bis de ladite loi stipule que « le non acquittement de la Taxe spéciale sur les produits pétroliers par les marketers dans les délais légaux, entraine leur suspension immédiate des enlèvements des produits pétroliers auprès des sociétés en charge de la gestion des dépôts pétroliers ou de raffinage, et transmission des informations aux services fiscaux pour constatation de la dette fiscale vis-à-vis du redevable réel ». Par conséquent, les sociétés en charge de la gestion des dépôts pétroliers ou de raffinage sont tenues de transmettre obligatoirement à leurs centres des impôts dans les cinq jours suivant la date limite de paiement de ladite Taxe, la liste des marketers défaillants et les montants correspondants. Nonobstant les dispositions de l’article 233 du présent Code, la dette est constatée par avis de mise en recouvrement et les mesures de recouvrement forcé prévues par le livre des procédures fiscales sont initiées à l’encontre des marketers, redevables réels de la Taxe spéciale sur les produits pétroliers dans le cadre de la mise en oeuvre de la procédure de solidarité de paiement. Toutefois, « tout enlèvement ultérieur de produits fait en violation des dispositions ci-dessus énumérées, entraine l’émission d’un avis de mise en recouvrement à l’égard de la société en charge de la gestion des dépôts pétroliers ou de raffinage le cas échéant en sa qualité de redevable légal, et la mise en oeuvre immédiate des mesures de recouvrement forcé à l’encontre de celle-ci », stipule le projet de loi de Finances 2021 adopté par le parlement.

Après l’adoption par le parlement camerounais, de la loi de Finances pour l’exercice 2021, qui consacre un budget de 4865,2 milliards de Fcfa (4670 milliards de Fcfa pour le budget général et 195,2 milliards pour les Comptes d’affectation spéciale) en hausse par rapport à celui de 2020, le principal défi pour les pouvoirs publics sera l’accroissement des ressources de l’Etat afin de réaliser le projets contenus dans le programme économique, financier, social et culturel du gouvernement présenté par le Premier ministre, le 25 novembre 2020 à l’Assemblée nationale. Pour y parvenir, il va falloir mobiliser des ressources financières importantes. Une équation bien difficile au regard de l’environnement actuel au plan national et international. Le chef de l’Etat, Paul Biya, le reconnait dans sa circulaire du 10 juillet 2020 relative à la préparation du Budget de l’exercice 2021. « La préparation du budget 2021 se déroule dans un environnement international marqué par de fortes incertitudes tant sur la demande que sur l’offre globale, en relation avec la pandémie du Coronavirus (Covid-19). L’effondrement des cours du pétrole brut, l’instabilité des marchés financiers et la détérioration des termes de l’échange constituent quelques chocs qui devraient entrainer dans de nombreux pays, une récession économique », a-t-il indiqué.

Martin Eyebe Soppo, spécialiste des marchés financiers
Dans cet entretien, il propose un nouveau mécanisme devant booster les recettes pétrolières du Cameroun tout en donnant son avis sur les actions de l’Etat au plan financier avec, à la clé, des suggestions.
« Nous avons perdu près de 50% sur les valeurs des contrats »

Que faut-il faire pour optimiser les recettes issues des exportations dans le contexte international actuel ?

La pandémie Covid-19 ralentit l’accumulation des ressources liées aux exportations, créant une rareté des devises support de notre instrument monétaire. Durant la même période, les prix des matières premières ont baissé sur les marchés à termes de marchandises. Nous pouvons suggérer et pourquoi ne pas conseiller, pour participer à la discipline économique et budgétaire, de se pencher sur une diminution de pertes sur les livraisons physiques des matières premières : à titre d’exemple, sur les marchés de livraison du pétrole brut nous avons perdu, à une époque, près de 50% sur les valeurs des contrats. Imaginons un contrat de 200 millions pour lequel nous ne connaissons pas la variation du coût à la livraison. Nous souhaitons ne pas perdre sur sa valeur au terme de la livraison. Alors, on va se tourner vers le « Forex », un couloir de marché qui transactionne en volume, plus de 5.000 milliards de dollars par jour. On va choisir un gisement pour faire simple, un portefeuille qui correspond à la valeur de notre contrat que nous allons acheter en payant une prime de 4%, soit 8 millions par rapport à sa valeur. Et nous allons prendre une position, ou si vous préférez, on va miser sur la baisse des cours. Comme nous sommes sur les marchés à termes, chaque fois que le cours baissera, on gagnera en pourcentage sur 200 millions valeur du gisement choisi. A l’échéance, ces gains vont compenser les pertes enregistrées sur la livraison du produit physique. Au dénouement on n’aura perdu qu’une faible variation, mais pas 50%. Toutes les grandes firmes pétrolières le font et leurs états respectifs ne perdent pas plus de 2 voire 3% au maximum sur ces volumes de transaction qui peuvent s’appliquer à toutes les matières premières. Ce type de mécanisme permet aussi, de diminuer de manière significative la carence de devises sur notre marché monétaire et participe aussi à prôner l’orthodoxie souhaité par le Premier Ministre.

Lors de la présentation du programme économique du gouvernement pour l’exercice 2021 à l’Assemblée Nationale le 25 novembre dernier, le Premier Ministre avance une hypothèse du déficit budgétaire à 2,8% du Produit intérieur brut (PIB) l’année prochaine. Cela vous semble-t-il réalisable au regard du contexte actuel marqué par la Covid-19 et les crises sécuritaires qui ont conduit à la dégradation du solde budgétaire établi en 2020 à -2,3% contre une cible initiale de 1,1% ?

En faisant cette projection et avant de considérer les éléments exogènes, tel que la Covid-19 : le Premier Ministre a raison d’insister et de prôner une rigueur de gestion. La participation du Cameroun à l’instrument monétaire unique, le Franc Cfa, dans la zone Cemac lui impose, au-delà du pays, le respect d’une discipline économique et budgétaire. Cette perspective de discipline, traduit le fait que les recettes de l’Etat, hors remboursement d’emprunts contractés, sont inférieures aux dépenses, hors emprunt. En fait, il informe le public que tout en étant endetté, sans tenir compte du remboursement de la dette publique, nous avons dépensé beaucoup et nous avons peu produit. Nous avons un solde négatif, en ratio recette et dette qu’il nous demande de réduire ensemble, à 2,8%, pour atteindre une cible ; valeur plus faible que le ratio actuel.

Alors, est-ce raisonnable ? Je pense que oui ; pas parce qu’il est dans son rôle politique, mais parce que les actions menées, techniquement, tendent vers cet objectif, à l’instar de la titrisation sous le contrôle de la Beac, déjà évoqué. Ce sont là des actions qui nous conduisent, en application pratique, à la jonction de la controverse entre les économistes comme Keynes, qui pensent que le déficit budgétaire peut stimuler la croissance et l’emploi dans une économie, c’est ce que le ministère des Finances et la Beac ont fait, par la titrisation comme instrument de relance économique. En émettant ces titres, elles créent la dette, un stock d’une grandeur économique de relance, mesurée à un moment donné pour favoriser le déploiement de la croissance. D’autres économistes de la théorie libérale ; considérant tout de même, que le déficit budgétaire est un flux, soit une grandeur économique mesurée sur une période donnée d’un an par exemple ; insistent sur les effets néfastes de l’accroissement de la dette publique. A mon avis, le Premier ministre répond à ce type d’analyse en prônant la discipline économique et budgétaire en conjonction, alors, avec les mécanismes de titres du ministère des Finances vis à vis de la Beac, qui sécurise, en tant qu’institution monétaire les échéances, créant ainsi un climat de confiance pour la relance économique.

Cette approche n’est pas une vue de l’esprit de la part des autorités monétaires camerounaises. Nous l’avons expérimenté, à une époque, en conseil pour la Cameroon Airlines. Après une séance de travail avec le Président du Conseil de l’époque, ce dernier s’est entretenu avec son DG et, la maîtrise technique de la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) aidant, la titrisation de la dette salariale a été faite. Leur initiative avait alors permis d’apurer la dette salariale, de transférer la dette à un tiers en rendant le marché liquide, d’accélérer la vitesse de circulation de notre instrument monétaire, et réveiller la croissance.

Ces approches sont pures, elles ne considèrent pas les paramètres exogènes tel que la Covid-19 qui, par effet de ricochet, ralentissent les ressources liées aux exportations. Ce sont ces ressources qui permettent l’impression du Fcfa sous tendues par la quotité en devises qui nous est dédiée. On va plutôt dire que malgré cette pandémie, le discours du Premier Ministre nous laisse croire qu’il veut aussi diminuer les dépenses de fonctionnement, d’investissement ou d’intervention pour faire des économies ; tout en augmentant les recettes à travers les prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales.

Pour atteindre l’objectif visé par l’Etat camerounais en 2021, quels leviers va-t-il devoir actionner ?

Pour atteindre ces objectifs l’Etat a plusieurs leviers pour diminuer le déficit budgétaire à l’instar des dépenses de fonctionnement, ou d’investissement. Mais, il faut aussi savoir que le déficit budgétaire peut aussi se traduire par nouveaux emprunts contractés par l’Etat, en plus de ceux, bénéficiant, de l’amortissement des emprunts antérieurs arrivés à échéance. Ces emprunts alimentent le déficit budgétaire et augmentent la dette publique. Mais, grâce à la titrisation, on va aller chercher la liquidité, où elle est cachée, créer de la valeur, croissance, en donnant une nouvelle cadence à la vitesse de circulation de notre instrument monétaire pour produire des ressources nouvelles. La mise en articulation de ce mécanisme va permettre à l’Etat d’appliquer le levier des prélèvements obligatoires qu’on a évoqué tout à l’heure en faisant allusion aux impôts, cotisations sociales qui, parallèlement vont permettre de diminuer le déficit public.

614 milliards de Fcfa ont été levés par le Cameroun sur le marché monétaire en 2020, soit largement au-delà de l’objectif fixé lors de la précédente loi de Finances. Est-ce la voie sur laquelle il doit recourir plutôt qu’aux prêts concessionnels ?

Il faudrait tout de même qu’on retienne que le déficit budgétaire se traduit, dans l’esprit de l’impulsion de la croissance, à solliciter de nouveaux emprunts au cours de l’année. Alors, une levée de fonds est une technique de financement qui consiste à faire entrer des capitaux dans un espace donné. Dans le cadre de l’Etat, les investisseurs apportent des fonds et ils reçoivent des titres en contrepartie. Nous revenons encore au mécanisme de titre pour le refinancement.

Pourquoi pas le prêt concessionnel ?

Un terme technique qui n’est pas toujours à la portée de tout le monde, que nous allons essayer d’expliquer en l’habillant d’exemple :

On va supposer que le Cameroun n’a pas besoin de s’endetter à l’extérieur, c’est -à -dire s’endetter auprès des institutions ou des pays étrangers pour faire face à ses engagements budgétaires. Le Cameroun va donc solliciter l’épargne des camerounais, des ressources internes qu’il veut orienter ou intégrer dans le circuit bancaire, il a utilisé la titrisation comme nous l’avons déjà évoqué.

Mais, effectivement on peut aussi faire appel au crédit concessionnel, à savoir à l’investissement direct étranger, une alternative de financement de nos projets. Il ne s’agirait pas de l’endettement classique, mais de crédits concessionnels qui seraient destinés à l’investissement et qui en réalité sont des prêts non assortis des conditions traditionnellement exigées par les banques commerciales et autres prêteurs à l’égard de l’emprunteur en matière de garanties. Ces prêts comportent des éléments de dons ou alors ils sont émis, à l’avantage de l’emprunteur, à des taux d’intérêts très faibles voir nuls qui peuvent aller de 0,05% à 0,5% en fonction des institutions et de leur appréciation des projets à financer, sachant que le risque varie selon les pays. A titre d’exemple chiffré, nous allons supposer ; qu’un pays tiers offre un crédit concessionnel au Cameroun de l’ordre de 20 milliards. On va dire que ce prêt sera mis en place sur une période de 5 (cinq) ans. Ce pays tiers va, aussi, octroyer une subvention de 2 (deux) milliards l’idéal concessionnaire peut imaginer que les 2 milliards soient un don et que le reste soit à un taux de 0,025% par exemple.

En réalité, l’élément don est la différence entre la valeur nominale du prêt et la somme de la valeur actuelle des futurs paiements que devra effectuer l’emprunteur au titre du service de la dette. Nous rejoignons donc ici, malgré le prêt concessionnel, le service de la dette, car, il faut tout de même rembourser. Nous allons impacter le « compte d’opérations » de notre zone monétaire. Si le gouvernement veut éviter cet impact, au respect d’une discipline économique et budgétaire, il peut hésiter sur ce type de prêt malgré le coût faible en intérêt.

Vous semblez très d’accord avec les mécanismes de titrisation dans l’espace Cemac…

A mon avis, nous devons travailler avec les paramètres mis en place par l’Etat pour participer à la conservation et au renforcement de sa souveraineté, sans laquelle les opérateurs économiques ne peuvent pas appliquer leur micro-modèle ou activité. Le partenariat public privé nous invite à cette option. Le financement participatif y concourt largement. Car, il permet aux entreprises bénéficiant des financements internationaux d’injecter des fonds dans notre espace en devises sans impacter le « compte d’opérations », sans bouleverser la zone monétaire, tout en permettant une accélération de remboursement de la dette publique. Les mécanismes de titrisation, dans l’espace Beac, vont permettre d’avoir une lecture plus claire de la signification d’un titre. Il était très difficile de convaincre certains opérateurs locaux, que le fait qu’un étranger achète la créance de l’Etat, ne lui confère pas un droit de propriété et cela ne signifie pas, non plus qu’on enlève la souveraineté à l’institution. Aujourd’hui, avec le précédent de la Beac, ils comprennent que, avoir un compte titre qui change de main diversifie le portefeuille de l’institution, qui ne bouge pas et renforce sa souveraineté en la rendant plus forte.

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