Le rapatriement systématique des recettes d’exportation, l’attractivité du nouveau cadre réglementaire, la fluidité des opérations, la digitalisation des procédures, la lutte contre le blanchiment d’argent et surtout la révision de la structure des économies de la Cemac, en sont quelques-uns relevés par les États et les acteurs économiques et financiers de la sous-région.
Entrée en vigueur en 2019, la réglementation des changes a permis de renforcer les réserves de change des États de la zone Cemac. Selon Yvon Sana Bangui, gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), elles sont passées de 2 à 2,2 mois d’importations en 2016 à 4,6 mois d’importations aujourd’hui. Ce qui a évité un risque de crise monétaire majeur à la sous-région, indique-t-on. Nonobstant cet acquis, cette réglementation est jusqu’ici peu appliquée. Réunis à Yaoundé le 17 juin 2025, dans le cadre de la troisième édition de la « Finance Week » organisée par le journal Ecomatin, les acteurs économiques et financiers ont fait un diagnostic sans complaisance des maux qui minent ce cadre réglementaire, afin de faciliter son exécution par tous. Des échanges avec la banque centrale, il ressort que la réglementation des changes de 2019 se heurte à sept principaux défis.
Le pari de la mobilisation effective des devises
Pour Gilbert Didier Edoa, secrétaire général du ministère camerounais des Finances (Minfi), le premier défi concerne la mobilisation effective des devises. Selon lui, « il est indispensable que les recettes issues des exportations de biens et services soient systématiquement rapatriées dans les délais prescrits », dit-il. Mais cet impératif pourtant clair dans les textes « se heurte encore à des freins opérationnels, notamment la lourdeur des démarches, le défaut d’information ou parfois une volonté délibérée de contournement », déplore-t-il. En guise de solution, il exhorte la Beac et les parties impliquées à rendre l’application de la réglementation des changes à la fois rigoureuse et intelligible.
La structure des économies de la Cemac comme enjeu principal
Par ailleurs, l’un des plus grands défis dans l’application de cette réglementation des changes, c’est la structure des économies de la sous-région. Car jusqu’ici, toutes les réserves rapatriées sont aussitôt ressorties. Ce qui risque de plonger la Cemac dans la situation de 2016 sus évoquée. Pour y remédier, il est demandé aux États et aux acteurs économiques d’engager des réformes pour réduire leur demande en devises. Dans cette logique, le renforcement du commerce intra-régional, et même au-delà, devient un impératif. « Nous fondons beaucoup d’espoirs sur la Zlecaf, qui devra élargir l’espace commercial d’échange des biens et services avec, en parallèle, le projet de création de la monnaie continentale africaine qui permettra d’élargir le marché et de réduire notre dépendance aux devises », a déclaré le SG du Minfi.
L’enjeu de l’attractivité du cadre réglementaire
Le second enjeu touche à l’attractivité de notre environnement réglementaire. Pour les acteurs économiques et financiers, un cadre trop rigide, ou perçu comme tel, pourrait décourager les investisseurs. Pour ces derniers, des efforts doivent être faits pour que cette réglementation des changes concilie à la fois sécurité des transactions, visibilité des procédures et stabilité juridique, afin de renforcer la confiance des opérateurs nationaux et internationaux. Pour Serge Yanic Nana, patron d’une société d’intermédiation financière active dans la Cemac, il faut desserrer l’étau sur le secteur privé. « Tant qu’on ne règle pas la question de ces rentrées en devises, le secteur privé ne pourra pas sortir de l’étau de la Beac. Le deuxième point : le dispositif de la réglementation des changes n’est pas compatible avec les opérations du marché financier. Quand on vient sur le marché et qu’on est investisseur étranger ou de la diaspora, les opérations sont quasi-instantanées. Mais quand il faut vendre les titres de créance en retour et recevoir son argent, on a de la paperasse à remplir. Ça ne marche pas. Il va falloir que la banque centrale regarde comment traiter les opérations en devises pour remédier à ça », suggère-t-il.
La digitalisation des procédures de change
Le troisième enjeu de la réglementation des changes identifié porte sur la digitalisation des procédures de change. La modernisation technologique est perçue comme un levier indispensable à l’accélération des traitements, la réduction des coûts et l’accroissement de la transparence. Les plateformes électroniques déjà en place comme Sydonia World ou Beac Change doivent être interconnectées et étendues afin d’assurer une traçabilité complète.
Le renforcement du rôle des banques commerciales
Le quatrième enjeu réside dans le rôle stratégique des banques commerciales. En première ligne dans la chaîne de transmission, elles doivent assurer la conformité réglementaire, tout en préservant la fluidité des opérations. Elles ont besoin d’un cadre de concertation, d’outils de contrôle efficaces et d’un accompagnement approprié pour remplir leurs missions dans les meilleures conditions.
La compatibilité de la réglementation des changes avec les libertés économiques
Le cinquième enjeu renvoie à la compatibilité de ladite réglementation avec les libertés économiques régionales. Pour les États, il est impératif que le dispositif de contrôle de change respecte l’esprit du traité de la Cemac, qui consacre la libre circulation des capitaux. L’équilibre entre rigueur monétaire et intégration économique doit rester au centre des préoccupations. Au niveau de la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (Bvmac), Louis Banga Ntolo, son directeur général, propose la création d’un guichet dédié aux investissements directs étrangers. L’objectif consiste selon lui à faciliter l’implication de la diaspora et accroître la mobilisation des IDE dans une zone Cemac encore marginalisée sur ce plan.
À sa suite, Charles Rollin Ombang Ekath, Administrateur directeur général (ADG) de La Régionale Bank cotée à la Bvmac, plaide pour une souplesse des procédures. « À la bourse, nous rencontrons un problème : les gens ont acheté des actions dans 8 pays différents. À ce moment-là, il n’y avait pas les déclarations et autres procédures. Mais lorsqu’il vend son action et doit rentrer en possession de son argent, cela devrait se faire de manière instantanée. La Régionale Bank a des actionnaires étrangers historiques en bourse qui ont fait toutes les procédures requises lorsqu’il faut rapatrier les dividendes et plus. Mais pour ceux qui ont investi en bourse de manière instantanée, il me semble que par parallélisme de forme, il est nécessaire que les investisseurs en bourse puissent recevoir le fruit de la vente de leurs actions de manière instantanée », a-t-il indiqué.
La lutte contre le blanchiment d’argent
Le septième et dernier enjeu est la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. À cet effet, le contrôle et le rapatriement des devises ne doivent pas seulement être perçus comme des instruments économiques. Ils se présentent aussi comme des outils de sécurité permettant d’endiguer des flux illicites, de détecter des circuits parallèles et de prévenir les menaces à la stabilité financière et sociale.