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Le conflit Russo-Ukrainien et l’économie camerounaise

La direction générale de l’Economie et de la programmation des investissements du ministère de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire a rendu public il y a quelques jours, un « document de travail » intitulé : « Le conflit russo-ukrainien et l’économie camerounaise». En 10 points, ce document enrichi de graphiques, tableaux et autres figures, présente l’impact de cette guerre sur l’offre mondiale de certains produits énergétiques et agricoles, ses conséquences sur les places financières internationales, ses effets sur les prix à l’échelle internationale et locale. Sur le plan domestique, on note que les répercussions de cette nouvelle crise sur l’activité économique au Cameroun sont certaines et inévitables, notamment dans les filières agro-industrielles. Par conséquent, les mesures de politique économique contracycliques mises en oeuvre en 2020-21, ainsi que celles contenues dans la SND-30 et le Plan de relance post-Covid… devraient donc être renforcées pour juguler les effets pervers potentiels de ce nouveau choc exogène. Comme recommandation, le ministère de l’Economie préconise la persévérance dans la mise en oeuvre harmonieuse du programme économique et financier bénéficiant des accords de Facilité Elargie de Crédit (FEC) et du Mécanisme Elargi de Crédit (Medc) triennaux du 29 juillet 2021, qui est de nature à atténuer les effets éventuels de ce nouveau choc sur l’économie nationale. En terme d’alerte, on n’attend pas plus d’une direction générale de l’Economie, qui de surcroît est dirigée par le Pr. Isaac Tamba, un des rares professeurs d’économie du Cameroun qui allie la pratique à la théorie. Cette note de conjoncture permet à toute personne physique ou morale, de savoir désormais à quoi s’en tenir dans sa gestion quotidienne, raison pour laquelle nous vous livrons en intégralité les 10 points.

  1. Du fait du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’offre globale de certains produits énergétiques et agricoles pourrait être perturbée…

Dans la nuit du 23 au 24 février 2022, un conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine a été engagé. Ce conflit, condamné par plusieurs pays dans le monde, a été suivi de sanctions économiques draconiennes à l’endroit de la Russie.

Cette situation qui survient alors que l’économie mondiale est encore en train de se remettre des effets pervers de la pandémie de la Covid-19, devrait entraîner des conséquences négatives aussi bien au niveau de l’économie mondiale, que sur les économies des pays africains. Il faut rappeler qu’avant l’avènement de ce conflit au coeur de l’Europe, les données sur la croissance mondiale avaient été révisées par le FMI. Dans cet ordre d’idées, la croissance mondiale se situerait à 4,4 % en 2022 et 3,8 % en 2023 ; l’Afrique Subsaharienne afficherait une croissance de 3,7 % en 2022 et 4 % en 2023. Ces perspectives économiques devraient être revues, eu égard à l’ampleur du choc économique créé par ce conflit Russo-Ukrainien, associé au renchérissement des coûts du fret maritime et à la rupture des chaînes logistiques. En effet, ces deux pays font partie des plus grands producteurs et exportateurs de la planète, notamment en produits énergétiques et agricoles. La Russie est le premier producteur mondial de blé et l’Ukraine en est le cinquième ; ces deux pays pèsent pour environ 1/3 des exportations mondiales de ce produit1. Aussi, la Russie est le deuxième producteur mondial de carburant, et l’un des plus importants exportateurs de pétrole. Il fournit environ 40% du gaz européen et produit d’importantes quantités de métaux. Ce pays est également : (i) le premier producteur de palladium, utilisé notamment pour la construction des pots catalytiques des voitures ; (ii) le deuxième producteur d’aluminium et de nickel ; (iii) le septième producteur mondial de cuivre, (iv) l’un des premiers exportateurs d’engrais, lequel est principalement fabriqué à partir du gaz naturel, dont il est aussi le premier producteur mondial. Par ailleurs, l’Ukraine est également le premier producteur mondial de maïs, le premier exportateur mondial de tournesol (utilisé dans la production d’huile et d’alimentation animale), le quatrième exportateur de maïs, et représente 18% des exportations d’orge. Ces deux derniers produits intervenant dans la production de bière…

  1. … avec des conséquences notables sur les places financières internationales.

De fait, le dynamisme observé récemment sur les marchés boursiers a été stoppé, entraînant le recul des marchés financiers. Aux lendemains du 23 février 2022, la Bourse de Moscou s’est effondrée de 30 %, celle de Paris 3,15%, Francfort 3,73%, Londres 2,45%, Milan 3,10%, Hong Kong 3,24%, Tokyo 1,81% et Shanghai 1,70%. L’indice européen de référence Eurostoxx 50 a chuté quant à lui de 3,48%. Quant aux matières premières dont les cours ont inauguré un nouveau cycle haussier depuis fin 2020, elles ont vu leur prix s’envoler. Ainsi, entre le 23 février et le 25 mars 2022, le cours du baril de pétrole a augmenté de 20,7%, pour se situer à 116,6 dollars, dépassant au cours de cette période la barre symbolique de 100 dollars pour la première fois, après plus de sept ans. Le pic enregistré au cours de cette période a été de 130,6 dollars le baril le 8 mars 2022. Celui du gaz naturel s’est également accru de 20,6% et celui du blé de 27,3%. De même, les cours du maïs et des engrais ont enregistré des hausses sensibles de 33% et 33,8% respectivement sur la même période.

  1. Ce nouveau choc va générer une hausse inhabituelle de l’inflation mondiale….

Aussi, les dérèglements et perturbations de l’offre globale de ces différents produits vont induire une hausse des coûts de production qui se répercuteront sur le niveau général des prix, avec pour conséquence une hausse généralisée des prix sur les marchés domestiques.

Dans une récente publication, le FMI (janvier 2022) affirmait déjà que l’inflation devrait rester élevée en 2022, en raison de l’augmentation du prix de l’énergie et des contraintes d’approvisionnement. Ainsi, cette inflation était projetée en moyenne à 3,9 % dans les pays avancés et à 5,9 % dans les pays émergents et les pays en développement pour cette année 2022.

Les sanctions imposées à la Russie par l’Union Européenne, le Canada et les Etats-Unis, ainsi que la destruction des infrastructures logistiques (ports, routes, ponts, aéroports, etc.) en Ukraine du fait de ce conflit, pourraient accroître les difficultés à acheminer les produits de ces deux pays sur les marchés internationaux à court terme, et aggraver l’inflation qui se situerait à des niveaux historiques.

  1. … Qui se répercutera sur l’inflation domestique

La hausse des cours du pétrole pourrait entretenir un renchérissement des prix au niveau mondial de la quasi-totalité des produits, et par conséquent induire un accroissement des prix des produits de grande consommation importés par le Cameroun. Lesdits produits représentent en moyenne 25% du panier de la ménagère. Cette situation dont les effets ne sont pas encore perceptibles au niveau local, devrait se greffer à un contexte inflationniste déjà préoccupant.

En effet, les récentes données de l’INS (2022) attestent d’une tendance inflationniste amorcée depuis 2019 (figure 1), et qui pourrait s’amplifier au cours de cette année. Proche de zéro en 2017, cette inflation, davantage entretenue par la hausse des prix des produits alimentaires, a cru de manière exponentielle depuis 2019, pour se rapprocher inexorablement du seuil communautaire fixé par la CEMAC (3%). Les données provisoires de janvier 2022, montrent que l’inflation a atteint 3,3 % en un an à Yaoundé, et +2,9% à Douala, après respectivement +1,5% et +2,1% à la période correspondante de 2021. Il faut davantage craindre cette hausse potentielle des prix domestiques d’autant plus que la contribution de l’inflation importée à l’inflation nationale est croissante depuis 2017.

  1. Les répercussions de cette nouvelle crise sur l’activité économique au Cameroun sont à redouter….

En plus des effets sur l’inflation, le Cameroun devrait également subir cette conjoncture défavorable du fait du ralentissement de l’économie mondiale et ses effets sur la demande extérieure, les difficultés d’approvisionnement et le renchérissement des prix de certaines matières premières, dont l’économie nationale est dépendante, à l’instar du pétrole brut, du blé, du maïs et des engrais.

Au-delà des manifestations sur l’ensemble des secteurs, les branches qui devraient être directement affectées sont notamment celles des hydrocarbures, de l’agroalimentaire, de l’agriculture et de l’élevage.

En ce qui concerne le secteur des hydrocarbures, le Cameroun devrait, en raison de sa politique de gel des prix, connaître une hausse du soutien du prix du carburant à la pompe qui avait été évalué dans la Loi de Finances (LF) 2022 à 120 milliards de FCFA, pour un prix du baril estimé à 61 dollars. Toutefois, le cours du pétrole brut qui a inauguré l’année 2022 à près de 77 dollars le baril, s’est inscrit dans une tendance haussière, et les spécialistes prévoient un niveau largement au-dessus de 100 dollars au terme de l’année 2022.

  1. … notamment dans les filières agro-industrielles.

pour ce qui est du secteur de l’agroalimentaire, le pays devrait enregistrer un accroissement sensible des prix sur certains intrants à l’instar du blé, de l’orge et du maïs. En effet, le Cameroun a importé 858 milles tonnes de blé en 2020, avec près de 45% en provenance de la Russie. Ce pays est graduellement devenu un partenaire important à partir de 2016, au détriment de la France (figure 3, ci-contre).

Ainsi, l’on pourrait redouter non seulement une hausse des prix de ces matières premières, mais également des problèmes d’approvisionnement en raison des difficultés d’exportation de la Russie et de l’Ukraine, ainsi que de la constitution des stocks de sécurité envisagée par certains pays avancés.

Une telle évolution est de nature à induire une hausse des prix à la production dans plusieurs branches d’activité, ainsi que des tensions inflationnistes sur certains produits de grande consommation. Les branches directement exposées sont notamment :

  • La minoterie dont l’intrant principal est le blé ;
  • Les boulangeries qui ont pour intrant principal la farine de blé ;
  • Les industries brassicoles, qui importent de l’orge et du maïs ; Les industries de production de pâtes alimentaires, de biscuits, etc. qui utilisent les farines de blé comme intrants.

S’agissant du secteur agropastoral, on pourrait notamment assister à : (i) une hausse des prix des intrants agricoles notamment des engrais importés2 ; (ii) une baisse des cours de certains de nos principaux produits agricoles exportés (cacao, café, banane, etc.).

Après le démarrage de ce conflit, les cours des engrais chimiques dont la Russie est l’un des principaux exportateurs mondiaux se sont rapidement envolés. Cette situation devrait induire un renchérissement des coûts de production dans le secteur agricole, avec pour conséquence une augmentation des prix des produits agricoles sur le marché local. Ceci devrait également favoriser un accroissement des prix à la consommation des ménages et une détérioration du pouvoir d’achat des ménages. Il convient également de souligner que du fait de la Covid-19, le prix des engrais avait déjà connu une hausse de près de 80% en 2021. Par ailleurs, une analyse historique relève qu’il existe une forte corrélation entre l’évolution des prix internationaux des engrais et de l’inflation au Cameroun (figure 4, ci-dessus).

L’accroissement sus-évoqué des prix des produits agricoles, notamment des céréales, devrait également se traduire par une hausse des prix des intrants utilisés dans les secteurs de la pisciculture et de l’élevage.

En ce qui concerne la baisse des cours de certains de nos principaux produits exportés, elle est à craindre en raison d’une diminution inévitable de la demande. En effet, les importations ukrainiennes sont à l’arrêt et celles de la Russie devraient connaître un repli en rapport avec les sanctions économiques. En outre, les hausses des coûts de l’énergie et des denrées alimentaires, agiront sur l’inflation, ce qui aura pour effet d’éroder les revenus des ménages et de peser sur la demande mondiale. Dans sa dernière note sur le conflit russoukrainien, le FMI prévoit déjà une révision à la baisse en avril 2022 de ses Perspectives de l’économie mondiale, ainsi que les évaluations régionales. A cet égard, des mesures immédiates et adéquates doivent être prises pour servir de filets de sécurité à une éventuelle transmission des effets susmentionnés sur l’économe camerounaise.

  1. Les mesures de politique économique contracycliques mises en oeuvre en 2020-21 devraient donc être renforcées pour juguler les effets pervers potentiels de ce nouveau choc exogène…

La mise en oeuvre des politiques contracycliques pour atténuer les effets éventuels de ce nouveau choc exogène devrait être privilégiée. Une des leçons tirées de la crise économique de 2020 est que les agents économiques réagissent toujours aux incitations des politiques publiques qui affectent les coûts et les avantages auxquels ils sont confrontés, et qui modifient par conséquent leur comportement.

Les arguments en faveur d’une politique active de stabilisation plaident pour une « main visible » de l’Etat-facilitateur dans l’économie, à travers notamment : (i) une agilité pro-active de ses politiques publiques ; (ii) une rationalisation de ses dépenses publiques pour stimuler activement la demande agrégée (stabilisateurs automatiques) lorsque celle-ci semble insuffisante pour maintenir la production à un niveau garantissant au moins le taux de croissance projeté (4 % en 2022) ; (iii) une meilleure priorisation de ses objectifs et des choix rationnels guidés par des ajustements réguliers pour prendre en compte les évolutions de ce contexte international débridé et incertain.

Les enseignements tirés de la résilience de l’économie camerounaise durant la crise liée à la Covid-19, où le taux de croissance a été de 0,5 % dans un contexte de dépression mondiale, amènent à reconnaître une responsabilité accrue de l’Etat-facilitateur pour répondre aux changements que pourrait connaître l’économie nationale afin de stabiliser l’économie.

  1. … a l’instar de celles contenues dans la snD 30 et le plan de relance post-Covid…

La crise sanitaire de 2020 a aussi mis en exergue les défis et vulnérabilités auxquels l’économie camerounaise est confrontée. Les réponses adéquates de politiques publiques ont été formulées dans la SND 30, cadre par excellence de l’action gouvernementale, et dans le plan de relance post-Covid, en plaçant le mix import-substitution/promotion des exportations au coeur de notre ambition de promouvoir une croissance vigoureuse et entretenue dans la durée à l’effet de conférer au Cameroun le statut de Nouveau Pays Industrialisé (NPI).

Les actions déjà identifiées doivent être mises en oeuvre sans délai, sous peine d’avoir à subir des coûts additionnels. Certaines de ces actions sont reprises dans le Plan de soutien et de relance économique post-Covid, qui vise à redresser la dynamique de l’activité dans un contexte volatile imposé par la crise sanitaire. Elles devraient, en plus des efforts de consolidation budgétaire et de mise en oeuvre des réformes structurelles, porter notamment sur : (i) le soutien à la production et à la transformation des produits de grande consommation ; (ii) la mise en place des dispositifs adaptés et dédiés au financement des entreprises ; (iii) la dynamisation des branche/filières de croissance ; et (iv) le renforcement de la compétitivité des entreprises.

A cet effet, le levier budgétaire sera mis à contribution pour mener une politique contracyclique volontariste, endogène et expansionniste, afin de renforcer notre capacité de résilience d’une part, de conquérir des marchés captifs et de « produire ce que nous consommons », d’autre part.

  1. … soutenues par les mesures du programme Economique et Financier du 29 juillet 2021…

Par ailleurs, la persévérance dans la mise en oeuvre harmonieuse du programme économique et financier bénéficiant des accords Facilité Elargie de Crédit (FEC) et Mécanisme Elargie de Crédit (MEDC) triennaux du 29 juillet 2021, est de nature à atténuer les effets éventuels de ce nouveau choc sur l’économie nationale.

En effet, ce nouveau programme s’articule autour de cinq axes principaux, à savoir : (i) l’atténuation des conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie, tout en assurant la viabilité intérieure et extérieure ; (ii) le renforcement de la bonne gouvernance et de la transparence, ainsi que le cadre de la lutte contre la corruption ; (iii) l’accélération des réformes budgétaires structurelles afin de moderniser les administrations fiscales et douanières, de mobiliser les recettes, d’améliorer la gestion des finances publiques, d’accroître l’efficience des investissements publics et de réduire les risques budgétaires liés aux entreprises publiques ; (iv) le renforcement de la gestion de la dette et la réduction des facteurs de vulnérabilité liés à la dette ; et (v) la mise en oeuvre des réformes structurelles pour accélérer la diversification économique, renforcer la résilience et l’inclusion financière, promouvoir l’égalité de genre et une économie plus verte.

10. … Et d’autres encore.

A ces mesures en cours de mise en oeuvre, devraient être associées à moyen terme, la dynamisation de l’intégration régionale à l’effet de tirer profit des économies d’échelle, notamment dans la production et l’approvisionnement de certaines spéculations et intrants. Enfin, la crise de 2020 a révélé des fragilités structurelles qui ont limité l’efficacité de la riposte. Afin de faire face de manière plus efficace aux chocs exogènes à venir, il conviendrait de renforcer le dispositif de veille, d’alerte et d’analyse des risques de survenance des vents contraires (baisse des cours des matières premières, fragilité des chaines d’approvisionnement, baisse de la demande, pandémies, risque de change, rigidités de l’offre mondiale de certains intrants, etc.).

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