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Quand profit rime avec paupérisation

Les employés mal payés et sans protection sociale, des milliers de familles désœuvrées souffrent le martyr tandis que les entreprises se font pleines les poches.

Abritée sous un parapluie transformé en « para soleil » en raison de la canicule ambiante, une employée d’une célèbre entreprise de paris sportifs en activité dans le pays depuis 1994, s’évertue à valider les jeux de la dizaine de clients devant elle. Car, du fait de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2021 organisée par le Cameroun du 9 janvier au 6 février de l’année en cours, les mairies ont décidé du retrait de certains kiosques qui jonchaient les artères principales des villes devant abriter les poules de ladite compétition. En le faisant, elles ont contribué au malheur de cette catégorie de travailleurs lésés par leurs propres employeurs. Car, jusqu’ ici, ces derniers n’ont rien fait pour ne serait-ce qu’améliorer leurs conditions de travail . Des tractations seraient en cours avec les communes pour la construction des espaces plus appropriés, apprend-on de sources internes aux dites structures. Le seul point d’achoppement reste les coûts qui ne semblent pas abordables. En attendant une suite, il faut bien souffrir le martyr.

Une situation assez paradoxale au regard de la floraison d’entreprises des paris sportifs et la multiplication et la diversification des offres. En lançant tout récemment la nouvelle offre dénommée « Africa Millions », une espèce de loterie où il suffit d’avoir au moins 2 numéros sur les 5 sélectionnées, figurant dans le tirage se tenant soit le lundi, mercredi et samedi pour gagner, le Pari mutuel urbain camerounais (Pmuc), filiale locale du Pari mutuel urbain (PMU), géant français des courses hippiques, démontre à suffisance que le marché camerounais est propice au développement des jeux dits de hasard. Au-delà de diversifier ses offres face à celles de ses concurrentes, il entend non seulement rajeunir et davantage féminiser sa clientèle. « Nous avons par ailleurs perçu les besoins de pari des jeunes et de femmes, en plus de la forte envie de chaque Camerounais de transformer sa vie », indique Tatyana Eldin Mabouka, sa présidente du conseil d’administration (PCA ) cité par le site d’ informations « Investir au Cameroun ».

En effet, le secteur des jeux de hasard et de divertissement se développe au Cameroun ces dernières années. Au niveau des paris sportifs, le Pmuc qui opérait en situation de monopole, se voit aujourd’hui bousculé, voire même évincé par les nouveaux concurrents. Pari-foot, Scorebet, Roisbet, 1xbet, etc pour ne citer que ces entreprises sont aujourd’hui à la mode. Le secteur semble davantage attractif au point où plusieurs investisseurs s’y intéressent. C’est notamment le cas de l’ex goleador, Samuel Eto’o aujourd’hui président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), qui en créant sa structure de paris sportifs au nom de « Beto’o », a noué un partenariat avec le Pmuc afin de mieux commercialiser ses offres, même si bon nombre de parieurs qui se recrutent généralement dans la catégorie des jeunes, semblent moins attirés par son offre, qui en plus des problèmes de logistiques observés, ne permettent pas son expansion. Des sources bien introduites dans ces cercles, font état de ce que des partenariats sont signés entre ces multinationales et des locaux.

Malheureusement , cette attractivité ne se reflète pas sur les conditions des travailleurs des dites entreprises. La plupart d’entre eux évoluent sans contrat professionnel ni affiliation à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps). Pire encore, bien que manipulant souvent des espèces, ils sont les proies faciles des individus mal intentionnés. Conscients de cela, les employeurs ne prennent aucune disposition afin de sécuriser ne serait-ce que leurs avoirs. « Chaque manquant ou perte t’expose à une sanction ou le pire des cas, au chômage ! C’est l’employé qui doit prendre les mesures nécessaires pour se mettre à l’abri. Les gens se font virer ici au quotidien », explique une employée d’une entreprise de la place. L’Etat qui connaît très bien ce mode opératoire, laisse faire les pro moteurs, comme il le fait d’ailleurs dans plusieurs autres secteurs d’ activité où les employés sont marginalisés.

Des centaines d’emplois précaires créés

En 2008, le Pmuc, leader du marché local des paris sportifs, comptait en l’absence des chiffres de ses concurrents, 739 employés et 18 00 commissionnaires. Ce chiffre a été revu à la baisse en 2018, pour se situer à 604 employés et 1314 commissionnaires. Des emplois précaires si l’on en croit les témoignages recueillis auprès des travailleurs de ce secteur d’activité sous le couvert de l’anonymat par peur de représailles. En effet, beaucoup d’employés des entreprises de paris sportifs Cameroun se plaignent de la faible rémunération qu’ils perçoivent par rapport au travail qu’ils effectuent. Certains y passent parfois jusqu’à 11 heures au quotidien dans leurs kiosques les jours de grands matchs. « Généralement nous travaillons avec les sous-traitants qui nous payent au pourcentage des ventes. Le sous-traitant loue la machine à 300.000 Fcfa et l’entreprise lui reverse 8% des ventes. A son tour il donne la moitié, soit 4% au vendeur. Et donc si vous faites une recette mensuelle d’un million de Fcfa par exemple, vous aurez un salaire de 40.000 Fcfa seulement quand vous travaillez pour un sous-traitant . Mais si c’est votre propre machine, vous aurez 80.000 Fcfa . Et avec l’offre de plus en plus abondante des entreprises de paris, vous conviendrez avec moi que ce n’est pas évident », a révélé une employée d’une célèbre entreprise de jeu.

En l’absence des chiffres relatifs au secteur, le boom des jeux de hasard au Cameroun et dans la sous-région Afrique centrale, serait selon les sociologues, une « reproduction locale de la civilisation du loisir », selon le Pr Claude Abé, sociologue à l’Université Catholique d’Afrique Centrale (Ucac) I dans une interview accordée à un journal en ligne local. En effet, « l’un des éléments structurant de la globalisation est justement la mise en route des jeux de hasard. Les casinos aujourd’hui sont une industrie à travers le monde. Une industrie capitalistique et donc à ce titre là, c’est donc un des éléments du mercantilisme, qui veut justement que l’on essaye d’extorquer au pauvre le peu qu’il dispose », explique-t-il. La preuve, « les gains sont assez minimes, comparés au temps perdue taux sommes perdues dans les paris. Il s’agit là, d’un bras séculier du capitalisme mondial qui, en fait, profite de la pauvreté des plus pauvres pour les rendre davantage vulnérables et les paupériser tout en les introduisant dans une sorte de pauvreté structurelle qui se transmettrait de génération en génération », poursuit-il.

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