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L’homme au coeur de la transformation monétique en Afrique Centrale

Valentin Mbozo’o, directeur général du Groupement Interbancaire monétique de l’afrique centrale

« La carte Gimac est concurrentie le au même niveau de sécurité que les autres cartes internationales »

Qu’est-ce que vous appelez l’écosystème «GIMACPAY » ?

Je ne sais pas si c’est une révolution, mais c’est possible. Je dirai que le GIMAC est l’organisme de la sous-région Afrique Centrale en charge de la mise en œuvre et de la promotion dans les six pays de la CEMAC, de la monétique inter bancaire, inter opérateur de monnaie mobile, inter transfert d’argent. L’écosystème GIMACPAY est un ensemble de services autour d’une plateforme qui fait de l’interopérabilité cartes bancaires, mobiles money, tout en agrégeant des transferts d’argent provenant de l’étranger.

Pourquoi avez-vous intégré le transfert d’argent venant de l’étranger ?

Nous avons intégré le transfert d’argent venant de l’étranger déjà pour les bénéfices que la sousrégion peut en tirer en termes de rentrée de devises, de l’importance que lesdits transferts procurent au GIMAC en termes d’activités. Si nous n’effectuons pas encore des transferts vers l’étranger hors CEMAC, c’est parce que le règlement sur les changes dans la sous-région s’entend avec un certain nombre de contrôles sur les motifs et les plafonds, ceci compte tenu de plusieurs maux qui minent les performances économiques de la sous-région, tels que la fuite des capitaux, l’évasion fiscale, le financement du terrorisme, le blanchiment d’argent, pour ne citer que ceux-là. Aussi avons-nous commencé par plus simple techniquement, en intégrant les transferts venant de l’étranger, encore désigné par le vocable « rémittence », en attendant d’implémenter les différents contrôles de conformité à assurer au niveau de notre infrastructure technologique GIMACPAY, préalablement à tout transfert à l’étranger hors CEMAC.

Est-ce que tout ça n’est pas prématuré quand on sait que le taux de bancarisation ne dépasse pas 15% en Afrique centrale ? C’est d’ailleurs le taux le plus bas du continent.

Pas du tout. Ce n’est pas prématuré. Si la carte bancaire est peut-être un peu liée à la bancarisation, force est de constater que pour ce qui est du mobile, c’est monsieur tout le monde qui en fais usage en ce moment. La monnaie mobile est utilisée dans certains pays de la CEMAC par 100% de la population, voire au-delà, certaines personnes disposant de deux à trois comptes de monnaie mobile auprès de différents opérateurs. Donc sur ce point, la monnaie mobile a vraiment conquis les ménages et habitudes des populations de la sous-région.

En 2015, vous avez lancé avec succès votre première grande innovation avec la carte GIMAC. Mais à quoi me sert cette carte si j’ai déjà dans mon portefeuille ma carte Visa, MasterCard ou American Express. Elles sont en concurrence non ?

Mais bien sûr que ce sont des cartes qui sont en concurrence. Je ne dirais pas que la carte GIMAC coûte « trois fois rien », mais c’est tout comme. C’est une carte qui est concurrentielle au même niveau sécurité que les cartes internationales, pour les 96% des ressortissants de la CEMAC qui ne voyagent jamais au-delà des frontières dudit espace géographique. Elle offre à cette très grande frange de la population, des facilités et des sécurités de paiement dans leur mobilité dans la sousrégion. Parce que transporter du cash comme ils en avaient l’habitude, en plus des risques de toutes sortes encourus, ça coûte, les transactions faites par la carte GIMAC présentent l’avantage d’une commission de retrait la moins chère de la zone, et d’être compensable localement en CFA, contrairement à celles effectuées par les cartes internationales.

Alors ça veut dire que les cartes de crédit qu’on appelle les grandes cartes n’ont plus aucun intérêt ?

Je ne dirai que les « grandes cartes » comme vous les désignez n’ont plus d’intérêt. Mais je constate quand même que leurs offres ne sont plus les plus compétitives dans la plus grande frange de la population de la sous-région, au vu de l’évolution des parts de marché, avec le GIMAC parti de 0% de part de marché à 22% en ce début d’année 2022. Sans oublier qu’en sus, GIMACPAY traite toutes les opérations des cartes internationales émises dans la CEMAC et effectuant des transactions dans la zone.

Quel est le principal avantage de la carte GIMAC ?

Il serait de diviser le coût des transactions par quelque chose de deux à trois, voir un peu plus dans certains pays de la CEMAC ou de l’UEMOA. Et aussi, vous savez il y a ce qu’on appelle le coût de possession de la carte. Il y a des cartes de certains réseaux internationaux, au coût de possession pouvant aller entre dix et quinze fois le coût de possession de la carte GIMAC.

Vous venez de vanter les mérites de votre carte face aux mastodontes Visas, MasterCard et autres. Mais qui possède cette carte dans les six pays d’Afrique Centrale ?

Il y a quelques années, avant l’avènement du GIMAC, la carte bancaire était une affaire élitiste. Des réseaux monétique émetteurs de cartes, à l’exemple du GIMAC ou du GIM-UEMOA ont beaucoup participé à ce que la carte devienne à la portée tout le monde, telle que connue aujourd’hui. Désormais des gens sans revenus fixes et établis peuvent désormais être porteur d’une carte.

D’après la Banque Centrale, les transactions du mobile money ont explosé de plus 1000% dans la sous-région. Tant de milliards en circulation aiguisent évidemment les appétits des Etats. Le Congo vient d’instituer une taxe de 1% sur les transactions financières électroniques, et le Cameroun de 0,2%. Quelle est la position du Gimac ?

Je vous remercie de me poser cette question qui est très prégnante. Je dirai que la bataille du développement, de l’émergence dans notre sousrégion est une lutte contre le cash qui est difficile à gérer pour des économies agiles, dans un contexte de mondialisation. Maintenant, que le digital a eu à convaincre des gens qui étaient habitués au cash à changer d’habitude, à croire au digital, à aller vers le digital et à réduire l’usage du cash, si je peux me permettre de dire quelque chose, ce qui est à redouter est que le renchérissement du coût des commissions des transactions constitue un frein à l’élan des populations à aller vers la réduction du cash, avec ce que ce dernier a de nocif pour les économies de la sous-région.

Et maintenant parlez-nous un peu de vous. En vous écoutant on sent bien un homme passionné. Au-delà de vos responsabilités professionnelles, vous êtes engagés dans le développement du digital à l’échelle africaine ? Vous donnez des cours à des étudiants, vous conseillez des organisations. Pourquoi ce véritable sacerdoce ?

Moi Valentin Mbozo’o, j’ai fait mes études supérieures en France, après mon baccalauréat en mathématiques et Sciences Physiques (Série C) au lycée de Sangmélima, une petite villede province à l’époque. Je suis arrivé en France et j’ai pu faire de très bonnes études fort de ces études primaires et secondaires initialement effectuées au Cameroun. J’ai intégré sur concours hyper sélectif l’Institut National des Télécommunications de Paris, après un cursus universitaire de niveau Master relevé en modélisation et simulation mécanique à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI). J’ai fait enfin un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA)en conception des Systèmes Informatique Avancés au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris.

Déjà à cette période de votre vie on est encore loin du Cameroun et de votre mobilisation pour le continent…

Quand je suis en France après mes études, je me dis, je n’ai rien à faire ici car on a besoin de moi en Afrique. Je suis rentré en Afrique et je me suis demandé pourquoi mes camarades de classe fabriquent des avions aujourd’hui, des satellites ou que sais-je encore, des vaccins et moi l’ingénieur africain que je suis et qui a étudié dans les mêmes classes que ces fabricants, qu’est-ce que je peux faire ?

Et pourquoi avez-vous choisi d’aider les jeunes plutôt que de prendre une place d’ingénieur quand on sait qu’on manque de manœuvres qualifiés en Afrique ?

Quand j’ai regardé dans mon environnement, j’avais un certain savoir et je me suis dit, je veux le diffuser, partager même gratuitement, coacher les jeunes, amener les gens aux savoirs que j’avais réussis à engranger ailleurs. Entre autres motivations, mes origines très modestes m’ont montré que l’école, ou le savoir, les savoir-faire, étaient des capitaux inestimables. Et que faute de capitaux en numéraire, nous les Africains nous n’avions une belle opportunité à saisir ! Regardez un peu dans les économies du monde qui se portent bien, c’est là où les gens sont bien formés, ils entreprennent, ils construisent, ils innovent et ils élaborent à chaque instant. Je demeure aujourd’hui ouvert à tous les jeunes, à tous ceux qui dans la société africaine veulent entreprendre des métiers où j’ai eu la moindre expertise, même au prix du bénévolat dans des projets et des réalisations porteurs d’innovation et de plus-value entrepreneuriale pour l’Afrique.

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