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La grogne des consommateurs face à la hausse des prix

Réunis au sein d’une association dénommée Focaco, ils ont intenté un sit-in le 21 octobre dernier à Douala qui a été annulé par les autorités administratives de la ville.

Le sit-in du 21 octobre 2021 à l’esplanade de la Délégation régionale du ministère du Commerce (Mincommerce) pour le Littoral à Akwa, dans l’arrondissement de Douala 1er, a finalement été annulé. Christophe Fofié Mbouedia, le sous-préfet de cet arrondissement l’a formellement interdit à travers une décision du 18 octobre dernier. Le motif évoqué par ce dernier a trait aux « risques graves de trouble à l’ordre public ». Par conséquent, policiers et gendarmes ont été mobilisés pour mâter toutes velléités de résistance de la part de la Fondation camerounaise des consommateurs (Focaco), initiatrice de cette manifestation annoncée. L’initiative visait à protester de « manière pacifique » contre la hausse des prix des matériaux de construction. « Depuis le début de cette année, les prix des matériaux de construction (ciment, fers à bétons et tôles), pourtant soumis à une procédure d’homologation préalable par les pouvoirs publics avant toute modification, connaissent une hausse exponentielle au grand désarroi des consommateurs que nous défendons », dénonce Alphonse Ayissi Abéna, président de la Focaco. Raison pour laquelle, une demande de manifestation publique a été adressée à l’autorité administrative compétente de cette circonscription administrative pour faire bouger les lignes. « Nous comptions à travers notre sit-in inviter les agents du ministère du Commerce à passer véritablement à l’action pour réprimer toutes ces entreprises mastodontes avec en tête de file Cimencam et Prometal qui dictent leur loi aux consommateurs du Cameroun », explique-t-il. Car, en effet, la structure qu’il dirige se dit indignée de la passivité des agents du Mincommerce face à la « violation flagrante de l’arrêté Mincommerce du 22 mai 2015 fixant la liste des produits et services dont les prix et les tarifs sont soumis à la procédure d’homologation préalable », peut-on lire dans la correspondance adressée le 15 octobre dernier au sous-préfet de Douala 1er.

Devant le refus de l’autorité, les consommateurs n’entendent pas abdiquer. « Bâillonner ainsi le mouvement consumériste c’est donner un chèque en blanc aux industriels et producteurs des biens et services pour que ces derniers dictent leur loi aux consommateurs », déplore Alphonse Ayissi Abéna cité plus haut. Toutefois, la Focaco va actionner d’autres leviers pour faire entendre le mécontentement des consommateurs sur cette hausse abusive des prix des matériaux de construction, apprend-t-on. « Un mémorandum va être adressé aux parlementaires (sénateurs et députés de la Nation) qui entrent très prochainement en session budgétaire de novembre 2021 », annonce son président exécutif.

Les raisons de la hausse

Dans une correspondance adressée le 2 septembre 2021 à la directrice générale de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), Luc Magloire Mbarga Atangana, le ministre du Commerce justifiait la hausse des prix des produits par « le renchérissement des cours des matières premières, la hausse vertigineuse des prix des produits alimentaires et l’explosion du coût du fret maritime », explique-t-il. A titre d’illustration, dans le secteur de la cimenterie, entre janvier et juin de l’année en cours, les prix du clinker, matière première principale utilisée dans la fabrication du ciment, tout comme le fer à béton et le gypse ont fait un bond respectif de 100, 95,54 et 60% par rapport à la même période l’année dernière selon le ministère camerounais du Commerce (Mincommerce). La situation est identique à celle des prix des produits tels que le blé, le soja ou le maïs qui se sont accrus respectivement de 31,6, 73, 98,4% tandis que le fret maritime a été multiplié par trois selon la même source. « Si certaines analyses ont pu laisser croire que les pays africains étaient les seuls à subir ce phénomène, il s’avère aujourd’hui qu’aucun pays au monde ou presque, n’est épargné », relève le ministre Luc Magloire Mbarga Atangana.

Les Cimenteries du Cameroun (Cimencam) avaient évoqué quelques pistes de solutions avec le gouvernement, le 14 septembre dernier. « Nous sommes venus explorer avec le ministre du Commerce, les possibilités pouvant nous permettre de réduire une partie des coûts de production via les charges fiscales, et dans quelle mesure répercuter une partie de ces coûts sur le prix du sac de ciment », s’exprimait Xavier Saint Martin Tillet, administrateur directeur général de Lafarge Maroc au cours d’une rencontre avec le ministre Luc Magloire Mbarga Atangana. Selon les responsables de Lafarge, ces mesures fiscales, si elles étaient prises, contribueraient à atténuer les coûts de production jugés exponentiels. En effet, avec le prix du clinker, principale matière première utilisée dans la production du ciment, qui a doublé au niveau international, celui d’un sac de ciment au niveau local doit normalement coûter un peu plus de 6.000 Fcfa. Or, les pouvoirs publics veulent maintenir le prix à 4.900 Fcfa au niveau local. En le faisant, l’Etat semble laisser la responsabilité aux entreprises puisqu’il continue de collecter les impôts et taxes qui lui sont dûs. Entretemps, Cimencam doit supporter entre 2 et 3 milliards de Fcfa de charges supplémentaires par mois du fait du maintien par les autorités camerounaises du prix de ses produits malgré les vents contraires. « Nous sommes conscients des responsabilités que nous avons. Nous agissons en étroite collaboration avec le ministre pour trouver des solutions », reconnaît l’ADG de Lafarge Maroc-Afrique. Même le PCA de l’entreprise l’admet : « Pour la deuxième fois, les cours de production du ciment sont très variables compte tenu des contraintes sanitaires et économiques. Nous sommes venus voir dans quelle mesure l’Etat pourrait aider cette société à continuer de produire de façon acceptable. Voilà le gros souci que nous avons », explique Yves Mbele Ndoe. Mais, la Focaco pense que « ces augmentations des prix des matières premières peuvent être absorbées par les marges bénéficiaires conséquentes que dégagent ces industries. En temps de crise passagère, les entreprises doivent plus que jamais faire preuve de RSE. En effet, quand les cours de matières premières et fret maritimes chutent à l’international, ces entreprises n’envisagent jamais la baisse des prix de leurs produits », soutient-elle.

INTERVIEW

Alphonse Ayissi Abéna, président exécutif de la Focaco
Dans cette interview, il énumère des actions à mener pour la réduction des prix des matériaux de construction au Cameroun.
« Nous allons actionner d’autres leviers pour se faire entendre »

L’interdiction de l’autorité administrative de Douala 4ème sonne-t-elle le glas de votre protestation contre la hausse des prix des matériaux de construction? Si non, que comptez-vous faire?

Nous avons pris acte de l’arrêté du sous-préfet interdisant notre sit-in de protestation mais nous tenons également à exprimer notre déception et mécontentement. En effet, bâillonner ainsi le mouvement consumériste c’est donner un chèque en blanc aux industriels et producteurs des biens et services pour que ces derniers dictent leur loi aux consommateurs. Toutefois, nous n’allons pas nous résigner face à ce musellement en pleine situation inédite de baisse drastique du pouvoir d’achat des ménages. La Fondation camerounaise des consommateurs (Focaco) va actionner d’autres leviers pour faire entendre le mécontentement des consommateurs sur cette hausse abusive des prix des matériaux de construction ; un mémorandum va être adressé aux parlementaires (sénateurs et députés de la Nation) qui entrent très prochainement en session budgétaire de novembre 2021.

Au vu des raisons évoquées par les entreprises spécialisées dans la production des matériaux de construction, cette hausse des prix desdits produits ne vous paraît-elle pas fondée?

Ces hausses sont illégales car les prix des matériaux de construction (ciment, tôles et fer à béton) sont soumis à une procédure d’homologation préalable par les pouvoirs publics avant toute modification. Nous rappelons qu’au niveau international, le clinker a certes connu une augmentation, le fret maritime a connu aussi une augmentation, mais ces augmentations des prix des matières premières peuvent être absorbées par les marges bénéficiaires conséquentes que dégagent ces industries. En temps de crise passagère, les entreprises doivent plus que jamais faire preuve de RSE. En effet, quand les cours de matières premières et fret maritimes chutent à l’international, ces entreprises n’envisagent jamais la baisse des prix de leurs produits.

Êtes-vous entré en contact avec ces entreprises pour des négociations avant d’entamer votre sit-in? Comment ont-elles réagi?

Nous avons des plateformes communes de concertations, et chaque partie présente ses arguments. Et il y a un arbitre qui est le ministère du Commerce pour garantir et préserver les intérêts des parties dans le respect strict de la réglementation en vigueur. La Focaco a plaidé pour le « made in Cameroon » au détriment des importations des matériaux de construction ; depuis quelques années, les importations de certains matériaux de construction (ciment, fer à béton) sont interdites pour permettre à l’industrie locale d’écouler ses produits mais cela ne devrait pas être un désavantage pour les consommateurs. Les responsables des entreprises que nous avons rencontrés disent que les prix sortie usine des matériaux de construction sont connus. Ils pointent plutôt du doigt certains de leurs distributeurs qui augmentent les prix afin d’engranger plus de bénéfice auprès du consommateur final

Que suggérez-vous comme solutions face à cette situation?

La question des logements sociaux est préoccupante au Cameroun. Aujourd’hui, le déficit est estimé à 2,5 millions en milieu urbain. Il s’agit d’un défi crucial qui nécessite des mesures incitatives notamment l’accès aux matériaux de construction à moindre coût. Les cimenteries et aciéries doivent donc savoir qu’elles sont sur un marché porteur dans un pays en voie de développement où le Smig se situe autour de 36.270 Fcfa. Tous les calculs macroéconomiques doivent prendre en considération ce Smig afin de contenir l’inflation et éviter une implosion sociale. La Focaco peut plaider pour des allègements fiscaux au bénéfice des cimenteries et aciéries à condition que ces dernières rendent public la structure des prix de leurs produits ainsi que les coûts de production.

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