Vous êtes ici
Accueil > Enquêtes > Les gargotes s’invitent dans les quartiers huppés

Les gargotes s’invitent dans les quartiers huppés

Malgré les rappels à l’ordre des autorités municipales, les propriétaires font la sourde oreille au grand dam des riverains.

Avenue Rosa Park au lieu-dit Bastos à Yaoundé, le vendredi 11 Août 2021, la présence de quelques cases de fortune en bois, change quelque peu le décor de ce quartier huppé de la capitale politique camerounaise. Malgré les croix de saint André apposées par la Communauté urbaine de Yaoundé (CUY) le 25 mars 2021, indiquant leur destruction dans les 24 heures qui suivent, elles sont toujours là. En journée, on y vend du petit déjeuner, des boissons alcoolisées ou non, et bien d’autres. Dès l’après-midi les jours ouvrables et plus particulièrement les jours fériés, ces abris deviennent de véritables bars traditionnels dans lesquels le « bil bil », le « cha », des dénominations qui selon que l’on vienne de la partie septentrionale du Cameroun ou de la partie anglophone, renvoient à cette boisson issue de la fermentation du mil rouge ou du maïs selon le cas. A cela, il faut encore ajouter le commerce du « matango », l’appelation locale du vin de palme. D’après les dires de quelques riverains de ce quartier abritant bon nombre de chancelleries occidentales, et même des résidences des particuliers sans oublier les représentations de certaines multinationales, ces boissons se consomment sans modération. Après des calebasses ingurgitées, les adeptes dans leur moment d’extase ou de délire, ne s’empêchent pas de s’en prendre aux passagers ayant le malheur de se retrouver dans les parages. Les femmes en sont les principales cibles. Des attitudes qui, très souvent, conduisent à des bagarres, parfois pour un rien. Une ambiance qui contraste avec la quiétude légendaire de ce quartier.

Les autorités municipales essayent tant bien que mal avec l’appui des forces de maintien de l’ordre (FMO) de remédier à cela. Que ce soit à Douala, Yaoundé ou ailleurs, des opérations contre le désordre urbain sont effectives. Mais, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. L’opération « libérez les trottoirs » du maire Roger Mbassa Ndine de Douala, ou celle initiée dans la commune d’arrondissement de Yaoundé II par le maire Yannick Martial Ayissi Eloundou, visent à appeler les uns et les autres à plus de responsabilité. « Dans le cadre de la lutte contre le désordre urbain et de la journée consacrée à l’hygiène et salubrité dans notre commune, j’ai effectué des descentes pour sensibiliser ceux qui occupent de manière anarchique et illégale les trottoirs et autres emprises du domaine public pour diverses activités. Après les échanges, j’ai également saisi l’opportunité pour recueillir les doléances des uns et des autres et leur montrer le bien-fondé de cette opération », explique l’édile de Yaoundé II. Passée la phase de la sensibilisation s’en suivra celle de la répression, apprend-t-on.

Bien connue dans les régions septentrionales du Cameroun en particulier celle de l’Extrême-Nord et même dans le Nord-Ouest, le « bil-bil » ou « cha » a rapidement conquis les autres régions du pays. Que ce soit dans une case de fortune, des domiciles privés ou même en plein trottoir dans certaines villes, cette boisson se consomme parfois même à l’excès. La demande, bien qu’elle ne puisse être chiffrée du fait de l’absence des statistiques officielles, semble toutefois en nette augmentation au regard de la multiplication des points de vente dans les grandes villes. La hausse du prix de la bière a également favorisé l’essor de cette activité. Tout type d’évènement heureux ou pas, est un bon prétexte pour consommer cette boisson, qui bue en communauté, est signe de partage. « Quand je veux me détendre, il me suffit juste de prendre mes 10 calebasses de bil-bil, et je me sens bien. Dans ce cas, peu m’importe qu’ils augmentent le prix de la bière ou pas. D’autant plus que le prix ici est à la portée de toutes les bourses et la satisfaction est assurée, je vous le garantie », s’extasie un consommateur de cette bière d’un type particulier.

Une activité hautement lucrative

La particularité avec cette activité est qu’elle ne nécessite pas un capital important. D’après une enquête menée par Gigla Garakchème, de l’Université de Ngaoundéré sur le sujet, beaucoup de femmes disent avoir ouvert leurs cabarets avec la modique somme de 10.000 Fcfa. « A Maroua, la production moyenne serait de plus de 100 litres pour une mise de 40 kg de sorgho avec un revenu mensuel estimé à 120.000 Fcfa pour les femmes qui traitent régulièrement entre 100 et 150 tasses de mil deux fois par semaine, ce qui leur permet de dominer les dépenses quotidiennes », a-t-elle indiqué. Une bonne calebasse de cette boisson s’obtient à partir de 100 Fcfa. Du coup, les vendeuses, bien qu’obligées de supporter les excès de leurs clients une fois sous l’effet de l’alcool, se frottent les mains. Quelques-unes des commerçantes de cette boisson approchées, disent avoir vu leurs chiffres d’affaires tripler. Au-delà de payer la scolarité de leurs progénitures et s’occuper de leurs foyers, certaines ont acquis des terrains grâce à cette activité et entendent se lancer dans l’immobilier.

C’est dire que l’activité nourrit son homme et pour le cas d’espèce, sa femme. Ceci au détriment des pouvoirs publics. Étant une activité informelle, elle n’est soumise à aucune taxe ou impôt. Parce que se déroulant généralement en fin d’après-midi ou en soirée, elle échappe aux contrôles des agents communaux qui ne prélèvent donc aucune taxe ni même celle sur l’hygiène et la salubrité encore moins, celle relative à l’occupation temporaire de la voie publique (Otvp). Une activité qui n’est pas sans risque pour la santé des consommateurs, entraîne par ailleurs le désordre urbain, la prostitution et même la criminalité. D’où la nécessité d’une intervention des autorités.

Laisser un commentaire

Top