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Les obstacles à la digitalisation bancaire au Cameroun

Outre le manque d’éducation des populations à l’acception du numérique, l’on déplore le difficile accès à l’internet, l’absence d’un véritable cadre règlementaire et le manque de formation des acteurs.

Malgré les nombreux privilèges qu’elle offre, la digitalisation bancaire rencontre encore de nombreux obstacles qui entravent son essor en Afrique et particulièrement au Cameroun. Le premier frein est d’ordre comportemental, notamment en matière d’éducation des populations à l’acceptation du digital. « Aujourd’hui nous avons encore beaucoup de Camerounais qui préfèrent avoir leur argent gardé dans une caisse à la maison au lieu d’un compte bancaire, ou alors s’aligner pendant des heures devant un guichet pour payer sa facture, soit demander son solde alors qu’il est possible de le faire sur l’un de nos canaux digitaux », déplore Yves Soumelong, responsable digital à UBA Cameroun. Dans ce même registre, il faut également regretter les réticences des consommateurs dans l’utilisation de certaines applications. Idem pour les services publics qui trainent le pas en matière d’adoption de la digitalisation dans leurs processus. Même si on voit tout de même des administrations comme le ministère des Finances et ses démembrements, à l’instar de la Direction générale des Impôts et la Direction générale des Douanes qui ont digitalisé plusieurs de leurs services, pour le grand bonheur des usagers.

Autres obstacles, la mauvaise qualité de l’internet et surtout son lent déploiement sur toute l’étendue du territoire, nottament en zone rurale, sans compter les coûts de ce service jugés onéreux par les consommateurs. Idem pour le cadre réglementaire qui commande la mise en place de différentes réformes pour le développement de ces services financiers digitaux. Et à cet effet, l’expert financier Valentin Tchakounté, préconise aux régulateurs de « prendre le processus à bras le corps et donner aux acteurs économiques un corpus réglementaire qui protège à la fois les consommateurs, mais qui soient aussi avant-gardiste pour ne pas brider les innovations ». Abondant dans le même sens, Pierre Kam, le Secrétaire général de l’Association des professionnels des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam), indique que « la difficulté c’est qu’on ne peut pas créer des produits qui correspondent aux besoins des clients, si ces produits ne sont pas conformes à la réglementation, et aux règles qu’il faut observer ».

L’autre grand frein au développement de la digitalisation bancaire au Cameroun comme d’ailleurs un peu partout en Afrique subsaharienne, s’avère être le manque de formation dans ce secteur. Or, le besoin d’experts est devenu croissant en vue de la modernisation du secteur bancaire, le développement des services financiers destinés aux populations mal desservies, et la mise en place des modèles d’entreprise innovants. Pour ce faire, « il revient au Cameroun de développer des programmes de formation appropriés dans nos collèges et universités, pour ne pas louper ce train qui comporte de très grandes opportunités économiques », prévient M. Tchakounté.

En somme, il nous faut de véritables incubateurs, des structures de financement adéquates ainsi qu’un cadre juridique approprié, pour permettre l’éclosion d’une véritable économie numérique structurée et par conséquent la digitalisation bancaire.

INTERVIEW

Valentin Tchakounte, expert financier par ailleurs Managing partner de Nambi Capital
Dans cette interview, il analyse les défis de la digitalisation bancaire pour les institutions financière.
« La digitalisation des services financiers est une réalité au Cameroun »

Quelle appréciation faites-vous de l’évolution de la finance digitale en Afrique subsaharienne de façon générale ?

L’Afrique subsaharienne comptait à elle seule 420 millions d’abonnés uniques en 2016, soit un taux de pénétration de 43%. Selon les projections, ce taux atteindra les 50% en 2020, avec 535 millions d’abonnés en Afrique subsaharienne et 725 millions pour tout le continent. L’Afrique deviendra alors le deuxième marché mondial en nombre d’usagers. Dans la foulée, le taux de pénétration, c’est-à-dire le nombre d’utilisateurs d’internet pour 100 habitants, est en croissance forte au cours des cinq dernières années, et est estimé à environ 25% environ pour l’ensemble du continent, à moins de 20% pour l’Afrique subsaharienne. On assiste ainsi depuis plusieurs années, à de forte progression des réseaux mobiles, au déploiement du haut débit. L’essor du mobile en Afrique a suscité un engouement fort, car il offre de multiples solutions pour contrer plusieurs problèmes actuels auxquels font face les Africains. La forte connectivité assurée par la téléphonie mobile a permis l’accès à des services qui autrefois, étaient difficilement accessibles dans le domaine de la santé, de l’éducation et des finances notamment. La pandémie de la Covid-19 est venue accentuer cette évolution, d’où de nouveaux défis pour les acteurs de la finance, notamment innover en tenant compte désormais de l’importance du digital dans la vie des consommateurs ou simplement pousser les consommateurs vers le digital avec plus de simplification, de flexibilité, de pro-activité, d’offres nouvelles, de sécurité des transactions. Le Cameroun lui aussi n’entend pas rester en marge de cette évolution du secteur de la finance digitale sur le continent.

Comment analysez-vous cette transformation au niveau du Cameroun concrètement?

Le Cameroun n’est pas en reste dans cette dynamique. On voit de nouveaux acteurs émerger dans le secteur, tandis que les anciens font des efforts de s’adapter à la nouvelle donne. La digitalisation des services financiers est donc désormais une réalité dans notre pays. Les banques investissent dans la relation client, dans de nouvelles offres de services, dans la recherche de proximité avec la clientèle, dans la réduction des couts de transactions, etc. L’on assiste à la digitalisation de plus en plus accrue des services à non-valeur ajoutée pour améliorer l’expérience client. Les Fintech et Telco ne sont pas non plus en reste. Les acteurs majeurs tels que MTN et Orange ont déjà une forte longueur d’avance, et ne voudraient pas se faire déborder par les autres acteurs traditionnels tels que les banques. Dans les années à venir, la digitalisation des services financiers connaitra encore une forte poussée car nous ne sommes qu’au début du parcours.

En ce qui concerne la digitalisation, quelles sont les principaux défis qui se présentent aux institutions financières du Cameroun ?

Les défis majeurs auxquels font face les institutions financières relativement à la digitalisation peuvent être de plusieurs ordres. D’abord sur le plan humain, les banques ne peuvent pas faire l’économie d’une bonne articulation entre les éléments culturels et les grandes capacités qu’offre la technologie. Il ne s’agit pas d’innover pour innover, mais de s’assurer de leur immersion dans l’environnement. De même, on peut noter les réticences des consommateurs à l’usage de certaines applications, ou de la part des acteurs tels que les services publics pour l’adoption de la digitalisation dans leurs processus. Je pense notamment à une réelle « E.administration » qui serait bénéfique pour tous les intervenants, y compris le secteur financier. Ensuite sur le plan infrastructurel, la lenteur du déploiement de la fibre optique sur tout le territoire est une contrainte pour offrir aux clients des solutions digitalisées de bonne qualité. Puis sur le plan de la réglementation, les régulateurs doivent prendre le processus à bras le corps et donner aux acteurs économiques un corpus réglementaire qui protège à la fois les consommateurs, mais qui soient aussi avant-gardistes pour ne pas brider les innovations. De même sur le plan de l’éducation, il revient au Cameroun de développer des programmes de formation appropriés dans nos collèges et universités pour ne pas louper ce train qui comporte de très grandes opportunités économiques. Sur le plan de la sécurisation des données collectées, les différents acteurs doivent mettre en place des protocoles de sécurité les plus performants pour éviter des intrusions malveillantes dans leur système. Sur le plan de l’éthique et de la déontologie, ici également de réelles problématiques se posent quant à l’utilisation des données collectées dans le cadre de la digitalisation. Il faut que les acteurs définissent un minimum de cadre éthique et déontologique, si non des scandales à venir peuvent décourager l’engouement des consommateurs pour la digitalisation. Enfin sur le plan du développement d’un écosystème du digital au Cameroun, on voit de nombreuse start-up qui émergent sans un réel cadre d’encadrement et de suivi. Avant la crise du Noso, la Mountain vallée s’était déjà développée à Buea, la crise l’a presque dissoute.

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