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Plaidoyer pour la survie de la filière porcine

Face à la survenue de la peste africaine à l’origine des mesures de restriction prises par les pouvoirs publics, des voix s’élèvent pour la sauvegarde des efforts entrepris dans le cadre du programme Agropoles.

Sauver la filière porcine déjà assez fragile. Tel est le voeu des acteurs et des spécialistes en matière de l’élevage et des économistes. Dans une tribune publiée le 27 juillet 2021, l’économiste Louis Marie Kakdeu, suggère aux autorités de réviser les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la Peste porcine africaine (PPA) qu’il juge « inappropriées ». En effet, face au décès en masse de porcs dans certaines localités du Cameroun, le ministre de l’Elevage, des pêches et des industries animales (Minepia) a prescrit à ses collaborateurs des 10 régions, de prendre des mesures nécessaires en vue de la « gestion de l’épizootie de la peste porcine africaine en cours ». Celles-ci ont trait entre autres, à la réactivation des « check points » ou postes de contrôle, l’information et la sensibilisation des acteurs de la filière porcine, la surveillance des élevages et les marchés de porcs, ainsi que le contrôle des mouvements des porcs et des produits dérivés. A ces mesures s’ajoutent la rigueur quant à la vérification des documents sanitaires des produits, la désinfection systématique des véhicules affectés au transport des animaux, ainsi que la mise en oeuvre des mesures sanitaires dans tous les foyers.

C’est dans ce sillage que certains gouverneurs notamment celui de la région de l’Ouest, ont décidé de la fermeture temporaire des marchés de commercialisation de porc et de ses sous-produits. A cela s’ajoute l’interdiction temporaire de la circulation et du transport des produits issus des fermes porcines, ainsi que la mise en oeuvre immédiate des mesures de police sanitaire dans tous les foyers touchés. L’objectif visé par ces restrictions selon les autorités administratives des régions sus citées, est non seulement d’empêcher la propagation de la maladie, mais aussi de protéger le cheptel existant.

Le caractère répressif des mesures gouvernementales

Seulement, les mesures gouvernementales prises pour endiguer le fléau s’avèrent dévastatrices pour l’économie. « En 1982, cela avait fait perdre au pays plus de 80% du cheptel. En 2014, l’on a détruit les efforts déjà entrepris dans le plus grand bassin de production qu’est le département du Logone et Chari, avec une perte de plus de 25% du cheptel national », relève Dr Louis Marie Kakdeu cité plus haut. Pire, cette crise de 2014 selon lui, a permis à l’épizootie de parcourir plus de 1500 km pour atteindre les régions du Centre, du Littoral, de l’Ouest et du Nord-Ouest pour ne citer que celles-là. Certains analystes dénoncent le caractère répressif desdites mesures. « Nous ne le rappellerons jamais assez. Le rôle de l’Etat n’est pas de réprimer sa propre population, mais de créer des conditions pour l’épanouissement (économique) de citoyens. Aucune des mesures prises n’engage la responsabilité du gouvernement qui, on le voit bien, fuit sa part de responsabilité », dénonce t-il.

Déficit de l’offre par rapport à la demande

Selon le projet « Agropoles », la production porcine annuelle du Cameroun n’était que de 47.000 tonnes par an en 2015 pour une demande nationale de près de 75.000 tonnes. Le pays importait près de 40% de son besoin pour une perte en devises d’environ 42 milliards de Fcfa par an. Pour ne pas détruire le peu d’efforts entrepris dans le cadre d’Agropoles, les experts recommandent aux pouvoirs publics de prendre des mesures rectificatives afin de ne pas tuer davantage l’économie nationale. Ceci d’autant plus que d’après le protocole de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), il revient à l’Etat de prendre une décision d’utilité publique pour circonscrire les foyers de contamination, abattre les sujets et mettre fin à la propagation avec une élimination correcte des carcasses et des autres déchets. A cela s’ajoutent le nettoyage et la désinfection approfondis des installations. Car, tous les programmes d’éradication fructueux ont reposé sur la rapidité du diagnostic, l’abattage et l’élimination de tous les animaux se trouvant dans les foyers de contamination. Il est plus qu’urgent de prendre de bonnes décisions pour ne pas tuer la filière porcine au Cameroun.

Dr Louis-Marie Kakdeu, économiste

« Les mesures gouvernementales vont créer un marché noir d’ici peu »
Dans une tribune publiée sur sa page Facebook, le 27 juillet 2021, il fustige la stratégie mise en place par les pouvoirs
publics pour contenir la peste qui menace la filière porcine camerounaise.

Vous dites que l’épizootie est partie pour envahir l’ensemble du pays. Pourquoi ?

Je le dis parce que le gouvernement a pris tout sauf l’unique mesure qu’il faut prendre. Dès courant juin 2021, le Réseau d’épidémio-surveillance des maladies animales du Cameroun (Rescam) reçoit des alertes. C’est ce qui fonde la correspondance du ministre en charge de l’Elevage, des pêches et des industries animales (Minepia) du 25 juin 2021 qui prescrit à ses collaborateurs au niveau régional, de prendre des mesures pour la « gestion de l’épizootie de peste porcine africaine en cours ». Lesquelles alors ? Le ministre prescrit entre autres de réactiver les check-points, d’informer et de sensibiliser les acteurs de la filière porcine, de surveiller les élevages et les marchés de porcs, de contrôler les mouvements de porcs et des produits d’origine porcine, d’exiger des documents sanitaires conformément à la réglementation en vigueur, de désinfecter systématiquement des véhicules affectés au transport des porcs, de mettre en oeuvre des mesures sanitaires dans tous les foyers, etc. J’espère n’avoir rien oublié des mesures prescrites. Vous êtes d’accord avec moi que toutes ces mesures vont dans le sens de la répression des éleveurs. Or, nous ne le rappellerons jamais assez ! Le rôle de l’Etat n’est pas de réprimer sa propre population. Le rôle de l’Etat est de créer des conditions pour l’épanouissement (économique) des citoyens. Aucune des mesures prises n’engage la responsabilité du gouvernement. L’on voit bien que le gouvernement, une fois de plus, fuit sa part de responsabilité.

De quoi s’agit-il ?

Dès juin 2021, alors que nous en sommes encore au début, le gouvernement aurait dû, conformément au protocole prescrit par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), prendre une décision d’utilité publique (DUP) pour circonscrire le(s) foyer(s) de contamination, abattre les sujets (dans des conditions décentes) et mettre fin à la propagation avec une élimination correcte des carcasses et des autres déchets. L’OIE prescrit en outre le nettoyage et la désinfection approfondis des installations. Tous les programmes d’éradication fructueux ont reposé sur la rapidité du diagnostic, l’abattage et l’élimination de tous les animaux se trouvant dans les foyers de contamination. Or, le gouvernement fuit les dépenses dans la désinfection des fermes. Le gouvernement fuit surtout ses responsabilités puisque la prise d’un DUP suppose le dédommagement. En ne voulant pas dédommager quelques producteurs, l’irresponsabilité gouvernementale contribuera encore à dégrader davantage le tissu économique national. Pire, la Peste porcine africaine (PPA) fait partie des maladies à notification obligatoire auprès de l’OIE. C’est dire que le Cameroun se tire une balle dans le pied en ne gérant pas l’épizootie conformément au fameux Code sanitaire pour les animaux terrestres.

D’autre part, vous affirmez que sur le plan sanitaire, la série des mesures prises par le Minepia et les gouverneurs (Ouest et Littoral) va être très peu efficace. Pourquoi ?

Tout simplement parce qu’elle ignore les vecteurs de transmission du virus concerné (Asfarviridae). A l’étape où nous nous sommes rendus (généralisation), il ne suffit pas de bloquer les mouvements des animaux (vivants ou morts). Il faudrait aussi limiter le déplacement des personnes dans la mesure où le virus se propage par des chaussures, des vêtements, etc. Il s’agit de ce que l’on appelle le contact avec des matières contaminées ou des vecteurs biologiques qui existent bel et bien à côté des contacts directs que les mesures gouvernementales veulent éviter. La question est simple : Pourquoi ne peut-on pas bien faire les choses dans ce pays ? Les protocoles sont connus et les mesures d’application sont simples. Ce sera le haro sur la filière porcine camerounaise si l’OIE ne déclassifie pas le Cameroun des pays vecteurs de la maladie. Tout ça pour quoi ?

Il est temps de prendre des mesures rectificatives afin de ne pas tuer davantage l’économie nationale. L’on ne peut pas se limiter à la condamnation ou à la répression des éleveurs qui sont emportés par la panique créée par le gouvernement. J’ai entendu dire que c’est grâce aux filets sociaux que les pauvres se sont lancés dans l’élevage (comme pour dire que les éleveurs peuvent perdre puisque c’est avec l’argent du gouvernement qu’ils ont lancé leurs activités). Soyons sérieux ! Même si c’était le cas ! Dans la réalité, l’élevage porcin n’est pas une affaire des 30 000 FCFA que l’on transfère dans le cadre des filets sociaux. Pour les petits éleveurs, c’est une affaire de plusieurs millions et pour les moyens (semi-industriels), il faut compter dans plusieurs centaines de millions. Vous n’allez pas demander à celui qui voit ses dizaines de millions s’envoler de rester sans action. Il est de la responsabilité du gouvernement de prendre une DUP pour ouvrir la voie au dédommagement. Ainsi seulement, l’on pourrait espérer avoir la « collaboration » des éleveurs dans la circonscription de l’épizootie.

Quelles peuvent en être les conséquences immédiates des mesures gouvernementales selon vous ?

En attendant, les mesures gouvernementales vont créer (comme c’est déjà le cas), un marché au noir et d’ici peu, il n’est pas exclu que l’on retrouve cette maladie hémorragique, virale et contagieuse dans tous les bassins de production à cause des autres modes de propagation comme le contact indirect. Pourquoi ? Parce que selon l’OIE, la peste porcine africaine ne constitue pas une menace pour la santé humaine. Par conséquent, les Camerounais vont continuer de consommer leur « porc braisé » avec le risque de transporter le virus d’une région à l’autre

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