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Risque d’implosion à l’Oapi

Suspendu depuis deux mois puis autorisé à retrouver son bureau au terme du Conseil d’administration du 10 décembre 2021, le cas du DG Denis Bohoussou, épinglé par un audit qui a mis en évidence plusieurs opérations pouvant être assimilées à des actes anormaux de sa gestion de l’organisation, divise les 17 Etats membres.

La sérénité n’est pas encore de retour au sein de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi). L’on croyait pourtant que la situation allait enfin s’arranger au terme de la tenue le 10 décembre 2021 à Cotonou au Bénin, du conseil d’administration extraordinaire de l’organisation suivi de la session ordinaire de la réunion des ministres des 17 Etats membres (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Mauritanie, Niger Tchad, Togo, Sénégal).

L’instance panafricaine dont l’une des principales missions est de mettre en oeuvre des procédures administratives communes, découlant du régime uniforme de protection de la propriété industrielle, connait en effet depuis plusieurs mois, une sévère crise interne qui a entrainé de lourdes dissensions entre les membres de son Conseil d’administration. Au centre de la controverse, l’actuel Directeur générale (DG) Denis Bohoussou, sur qui pèse des soupçons de « mal gouvernance et de malversations financières mettant en péril les intérêts de l’Organisation ». Cet état de choses a d’ailleurs conduit à sa suspension le 14 octobre 2021. Une décision prise par l’ancienne présidente du conseil d’administration (PCA), la béninoise Shadiya Alimatou Assouman, qui n’a pas digéré son refus de faire exécuter la décision de faire auditer la gestion de l’organisation, ceci dans le seul et unique but de clarifier ses doutes et ainsi que ceux des administrateurs sur la gestion financière du DG, à la suite des multiples alertes du contrôleur financier.

De retour de Cotonou où il a été rétabli dans ses fonctions selon le site d’information de l’Oapi, Denis Bouhoussou n’a pas tardé à déterrer la hache de guerre. Dès le lendemain de sa reprise de service au siège de l’Organisation à Yaoundé où il n’a pas eu accès à son bureau pendant deux mois, l’Ivoirien a signé le 14 décembre une note de service portant affectation des membres du personnel. La note met ainsi en disgrâce certains employés. « Les règlements de compte ont commencé avec ces affectations. Il fallait s’y attendre et je ne pense pas qu’il (le DG, Ndlr) va s’arrêter là », souffle une source au sein de l’Oapi. Et la même source d’indiquer que l’acte posé par le DG est « juridiquement infondé ». Car la « résolution de son rétablissement dans ses fonctions n’est pas encore signée », même s’il a déjà repris le service.

DES PREUVES ACCABLANTES

Si Denis Bouhoussou agit avec autant de véhémence, c’est certainement parce qu’il sait que son avenir à la tête de l’Oapi est désormais incertain. En effet, les premiers résultats de l’audit de gestion mené par le Cabinet Mazars Cameroun SA recruté à cet effet le 5 novembre 2021, afin de clarifier les soupçons de malversations financières qui pèsent sur sa gestion notamment sur les exercices 2018, 2019 et 2020, discréditent fortement le DG. « L’audit réalisé a mis en évidence plusieurs opérations pouvant être assimilées à des actes anormaux de gestion ; plusieurs autres irrégularités et inexactitudes ; et des défaillances significatives du système de contrôle interne en place », note le Cabinet Mazars dans le résumé sommaire du rapport d’audit que nous avons pu consulter.

Les opérations pouvant être requalifiées en actes anormaux de gestion, portent ainsi sur un total de 397,3 millions de Fcfa. En détail, la société d’expertise comptable et de commissariat aux comptes a ainsi relevé : un manque à gagner estimé sur la période sous revue à 104 millions de Fcfa, au sujet des placements en compte courant non rémunéré des recettes issues du protocole de Madrid sur les marques et de l’Arrangement de La Haye sur les dessins et modèles industriels ; un manque à gagner estimé à 29 millions de Fcfa quant à la non reconduction du dépôt à terme de 2 milliards de Fcfa ouvert à UBA et son non placement dans une autre banque pendant trois mois et 10 jours (106 jours), contrairement aux dispositions de l’article 105 du règlement financier du 11 décembre 2017, prescrivant systématiquement le placement en DAT des fonds non utilisés ; le non prélèvement des intérêts de retard sur 3 contrats entrainant un préjudice estimé à 108 millions de Fcfa au 31 décembre 2020, un montant qui pourrait être ramené à 55 millions dans le cas où le solde à percevoir au 31 décembre 2020 soit 53 millions de Fcfa, est prélevé sur les intérêts de retard ; les gratifications versées au commissaire aux comptes pour un montant de 15,5 millions de Fcfa en violation des dispositions de l’article 40 de la Loi n° 2011/009 du 06 mai 2011 relative à l’exercice de la profession comptable libérale au Cameroun ; une perte de 26 millions de Fcfa due à la non retenue à la source du solde de l’avance de démarrage versée au prestataire Ceco BTP dans le cadre de la construction du Centre de documentation de la propriété intellectuelle de Lomé ; l’absence de cadre de rémunération pour les personnels engagés en contrat à durée déterminée induisant le bénéfice d’indemnités et avantages inéligibles évalués à 114,8 millions de Fcfa.

Au rang des autres irrégularités et inexactitudes relevées dans la gestion de Denis Bohoussou, le cabinet Mazars cite entre autres : la constatation du compte courant d’un tiers dans la trésorerie entrainant une surévaluation de cette dernière au 31 décembre 2018, 2019, 2020 respectivement de 741,7 millions de Fcfa, 1 848 millions de Fcfa et 2 003 millions de Fcfa ; la perte de change à 65,8 millions de Fcfa et 22,8 millions de Fcfa respectivement au titre des exercices 2019 et 2020 suite à la non comptabilisation des écarts créés par les fluctuations des taux de change entre les montants mobilisés et reversés par l’Ompi (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ) et les quittances émises suivant les tarifs fixés en local ; la surévaluation des produits financiers constatés sur les dépôts à terme à Afriland et Bgfi respectivement de 40 millions et de 35 millions de Fcfa…

LE DG A TROIS MOIS POUR PREPARER SA DEFENSE

Tous ces faits et bien d’autres liés à la gestion irrégulière de l’Oapi auraient normalement conduit à l’éviction définitive du DG, surtout que l’audit qui a relevé des préjudices importants pour l’organisation, a été validé par le Conseil d’administration. Appelé à se défendre face à ces allégations portées contre lui, Denis Bohoussou a pu obtenir l’autorisation de réintégrer son bureau à Yaoundé, afin de préparer sa défense et apporter les preuves contradictoires au rapport d’audit, dont la version définitive est attendue en mars 2022. Sauf qu’il devra travailler pendant ce temps sous la tutelle d’un Comité ministériel composé de cinq administrateurs. « Ces derniers ont pour mission d’assurer le suivi de ses actes de gestion », précise le site d’information Investir au Cameroun.

Il faut relever que d’après plusieurs sources présentes à Cotonou, il doit sa survie au soutien d’une majorité d’administrateurs dont il a bénéficié, malgré les nombreux manquements qui pèsent sur sa gestion. Chose curieuse, tandis que les pays d’Afrique de l’Ouest étaient divisés sur son cas, ceux d’Afrique centrale lui ont majoritairement accordé leur appui, à l’exception de la République centrafricaine qui s’est retrouvée toute seule à demander son départ.

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