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Une première conséquence du désordre urbain

Dans un communiqué du 16 juillet 2021, Roger Mbassa Ndine, le maire de la ville de Douala en a tiré la sonnette d’alarme.

Sur 34 carrefours à feux de signalisation installés dans la capitale économique du Cameroun, Douala, plus d’une quinzaine étaient en arrêt depuis le 16 juillet dernier. Le triste constat a été fait par Roger Mbassa Ndine, le maire de ladite ville. Une situation qui est le fait « des actes de vandalisme et de vol sur les armoires de commande qui sont très souvent remplacées, mais subissent aussitôt la récidive », déplore-t-il. Une situation qui entraîne des conséquences dommageables pour les usagers de la route en particulier et les populations en général. Ce phénomène n’est pas que l’apanage de la ville de Douala. Bien d’autres grandes cités du pays et même d’Afrique connaissent également le phénomène du vandalisme. Pour empêcher la recrudescence du phénomène, le maire de la ville de Douala appelle « à la vigilance et la mobilisation du corps social tout entier pour barrer la route à ces malfaiteurs, en les dénonçant auprès des services de la police nationale ou municipale en vue de la sauvegarde des biens qui appartiennent à tous », a-t-il invité. Car, rappelle-t-il, la multiplication des feux de signalisation dans les différents carrefours de la ville ainsi que leur entretien permanent s’inscrit dans la politique de la Communauté urbaine de Douala de faciliter la mobilité urbaine et la sécurisation des usagers de la route dans la ville.

Au plan écologique, les nombreuses inondations observées dans certains centres urbains sont également une autre conséquence du désordre tant décrié. En effet, du fait du non-respect des règles en matière d’urbanisation, l’on assiste au déversement des déchets dans des caniveaux mis sur pied pour faciliter le passage des eaux de ruissellement en saison de pluies. Au-delà des dégâts matériels importants, ces inondations poussent les pouvoirs publics et les municipalités à injecter des ressources financières importantes pour le curage des caniveaux.

Au plan sécuritaire, l’occupation illicite de la voie publique ainsi que l’invasion des gargotes dans des quartiers huppés de nos villes, ouvrent très souvent la voie aux malfaiteurs qui en profitent pour dérober les usagers ou les habitants de leurs biens, rendant ainsi difficile le travail des forces de maintien de l’ordre. Cela peut également s’observer en cas d’incendie où très souvent le corps des sapeurs pompiers éprouve des difficultés à venir en aide aux personnes sinistrées du fait d’une urbanisation anarchique. Face à cela, certains urbanistes appellent à la rigueur des pouvoirs publics qui doivent établir un véritable plan d’urbanisation de nos villes qui sont moins pensées et mal construites.

REACTIONS

Yannick Martial Ayissi, maire de la commune de Yaoundé II
« L’heure est à la sensibilisation »

Dans le cadre de la lutte contre le désordre urbain et de la journée consacrée à l’hygiène et salubrité dans notre commune, j’ai effectué des descentes pour sensibiliser ceux qui occupent de manière anarchique et illégale les trottoirs et autres emprises du domaine public pour diverses activités. Après les échanges, j ‘ai également saisi l’opportunité pour recueillir les doléances des uns et des autres et leur montrer le bien-fondé de cette opération.

Martial Gervais Bella Oden, expert en développement
« Le problème se situe au niveau des mentalités »

La problématique du désordre urbain dans nos villes trouve son fondement dans les mentalités des populations en milieu urbaine, mais aussi dans les insuffisances des actions en lien avec la gestion rationnelle de l’espace urbain. Parlant de la gestion rationnelle de l’espace urbain, il est tout à fait important que des actions de vulgarisation du cadre juridique en lien soient d’avantages renforcées, car la sensibilisation est un moyen de prévention des dérives dans le contexte local. D’autre part, les plans d’aménagement ne devraient pas rester dans les tiroirs mais être connus de tous, toujours à travers des actions de communication. Les propriétaires terriens devront aussi travailler à faire preuve de civisme et sur tout d’éthique dans la commercialisation des espaces. Voilà en quelques mots quelques pistes de solutions en guise de contribution à la résolution de cet épineux problème de désordre en milieu urbain qui a de nos jours une forte incidence sur le plan écologique et l’esthétique de nos villes.

INTERVIEW

Dr Louis Marie Kakdeu, économiste
Dans cet entretien, il analyse le phénomène en y apportant des pistes de solutions.
« La solution se trouve dans l’aménagement du territoire »

Qu’est ce qui peut être à l’origine du désordre urbain observé dans nos villes ?

Il faut d’abord que l’on s’entende sur la notion de désordre urbain. Pour faire simple, les sociologues y assimilent l’incivisme urbain. Les géographes et urbanistes pointent du doigt l’urbanisation anarchique. Du point de vue politique, on y voit la crise de la ville. Sur le plan juridique, ce serait le non-respect des règles en vigueur. Dans un sens comme dans l’autre, la gestion du paysage urbain est concernée. Il s’agit de « ce qui se voit », de l’esthétique de la ville, de la valorisation de l’espace public. Ce que je voudrais faire ressortir avant toute analyse, c’est la dimension subjective contenue dans le regard que l’on peut poser sur la ville. D’ailleurs, ceux qui sont accusés d’incivisme et qui sont déguerpis ne comprennent pas l’acharnement sur eux. Ils croient vivre en ordre et se disent victimes d’une machine répressive. Au Cameroun, nous sommes donc dans le cas où la subjectivité des « désordonnés » semble avoir pris le dessus sur la puissance publique. Par exemple, les moto-men font leur loi dans la rue. Ils se sont imposés dans le paysage urbain. Dans les banlieues et quartiers populaires, les populations précaires s’accrochent à leur précarité et défient l’Etat. Le désordre serait donc aussi le déséquilibre des pouvoirs entre les acteurs et communautés en présence dans la ville. C’est ce que Janvier Onana dans son ouvrage paru en juin 2019 sur le sujet appelle « tragique impuissance de la puissance publique au Cameroun ». Il s’agit de la prolifération de l’urbanisation sauvage, de l’occupation anarchique de l’espace public, des figures plurielles de la débrouillardise en milieu urbain, des insuffisances de la planification urbaine, des lacunes et incohérences des dispositifs institutionnels, etc. On peut aussi ajouter la surpopulation, l’insécurité, la pollution, la désorganisation du pouvoir, etc.

Que préconisez-vous en termes de solutions ?

La solution se trouve dans une seule action qui fait défaut depuis des décennies à savoir : l’aménagement du territoire. Il est temps de procéder à la programmation et à la planification du développement. Il n’existe pas de plan directeur national au Cameroun. Il n’y a donc pas un projet de cohérence des actions de valorisation de l’espace public. Il faut anticiper. Or, l’Etat réagit toujours et toujours. S’il y a urbanisation anarchique ou sauvage, c’est parce qu’il n’y a pas eu au préalable lotissement ! Il ne faut pas laisser les gens s’installer avant de venir déguerpir. Il faut planifier leur installation au préalable. L’Etat doit dès à présent prévoir le plan d’extension de nos villes. Il devrait déjà aller à 20 ou 30 km de nos centres urbains pour faire des lotissements et planifier ce qui viendra dans 20 ou 30 ans. Malheureusement, ce n’est pas le cas et c’est regrettable.

Si l’on prend un autre sujet comme le transport public, vous vous rendrez compte que les gares routières sont encerclées par la ville en ce qui concerne le transport interurbain et qu’il n’existe même pas de gare routière pour le transport urbain. Dans une ville comme Yaoundé, un même taxi peut traverser toutes les 7 communes, ce qui n’est profitable ni pour le taximan ni pour l’Etat. Il faut organiser le transport urbain en créant des points de stationnement pour limiter les embouteillages créés par les ramassages à tout bout de rue. C’est un peu mieux organiser dans ce sens à Abidjan, Côte d’Ivoire, et tout le monde en tire profit.

Pour me résumer, le désordre urbain est la conséquence de l’absence d’aménagement du territoire. En l’état, le gouvernement est lui-même impuissant face à l’incivisme des populations. A défaut d’y faire face aujourd’hui, il faudrait au moins limiter les dégâts pour demain en planifiant dès maintenant ce qui arrivera demain. Il faudrait avoir un document d’ensemble que l’on appelle « Plan directeur national » qui permettrait de veiller à la cohérence de l’urbanisation. A défaut, il faudrait au moins avoir des plans de ville opérationnels. On est loin du compte.

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