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Evaluation des mesures adoptées par la Banque Centrale en riposte à la pandémie de COVID-19

Dans un contexte marqué par de nombreuses incertitudes en lien avec la crise sanitaire de Covid-19 et des effets attendus de la chute des cours mondiaux du pétrole sur les économies de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), le Comité de Politique Monétaire (CPM) de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) avait adopté une série de mesures dans son plan de riposte. Ces mesures, décidées au cours de ses sessions ordinaires de mars et juin 2020 et extraordinaire de juillet 2020, ont été reconduites pour six mois à l’issue de la réunion ordinaire du CPM de décembre 2020. Réuni en sa session ordinaire du 28 juin 2021, le CPM s’est félicité de la pertinence des mesures prises dans son plan de riposte à la Covid-19. Cependant, tenant compte de la persistance de la pandémie de COVID-19 dans la CEMAC et de la nécessaire préservation de la stabilité extérieure de la monnaie, le CPM a décidé d’ajuster l’orientation de la politique monétaire mise en oeuvre depuis mars 2020, en soutien à l’économie.

Après un bref rappel des principales mesures prises dans le cadre de ce plan de riposte (1), la présente étude analyse l’état de mise en oeuvre de ces mesures (2) avant de les évaluer, notamment en lien avec les objectifs qui étaient visés (3). Enfin, elle présente les ajustements de l’orientation de la politique monétaire depuis le 28 juin 2021 (4).

  1. Plan de riposte de la BEAC face à la crise COVID-19

Le plan de riposte de la BEAC à la crise de Covid-19 a été élaboré en deux phases. La première a porté sur l’assouplissement des conditions monétaires, visant à rassurer le secteur productif et les établissements de crédit, en particulier, du soutien de la BEAC au maintien de la chaine de production dans un contexte caractérisé par de nombreuses incertitudes. A ce titre, les mesures suivantes ont été prises :

• révision à la baisse des principaux taux d’intérêt de la BEAC. A cet effet, le taux d’intérêt des appels d’offres (TIAO) a été réduit de 25 points de base, en revenant de 3,50 à 3,25 %. Le taux de la facilité de prêt marginal a, quant à lui, été réduit de 100 points de base, reculant de 6,00 % à 5,00 % ;

• relèvement du montant de liquidités à injecter sur le marché monétaire à XAF 500 milliards. La Banque Centrale a ainsi porté le montant des injections de liquidité sur le marché monétaire de XAF 240 milliards à XAF 500 milliards et s’est engagée à relever ce montant en cas de besoin ;

• élargissement de la gamme des effets privés admis comme collatéral des opérations de politique monétaire. Les conditions d’éligibilité des créances privées à court terme admises comme collatéral des opérations de politique monétaire de la BEAC ont été assouplies ;

• révision à la baisse des niveaux des décotes applicables aux effets publics et privés admis comme collatéral pour les opérations de refinancement à la BEAC. Le CPM a acté une réduction de 800 points de base de l’ensemble de décotes applicables aux titres publics admis comme collatéral et suspendu pour une période de 6 mois toute révision à la hausse de celles-ci.

Cette première série de mesures a été complétée par (i) l’assouplissement des conditions d’émission des valeurs du Trésor (délais et calendriers d’émission) et (ii) la mise à la disposition de la BDEAC d’une ligne de XAF 90 milliards pour financer les projets d’investissements publics initiés par les Etats membres de la CEMAC, notamment dans le cadre des mesures de riposte face à la COVID-19.

La seconde phase a concerné les mesures d’intervention plus directes, destinées à soutenir durablement la liquidité du marché monétaire et à impacter plus spécifiquement les conditions de financement des Etats, sur le marché des titres publics, et du secteur productif. Ces mesures ont consisté en : (i) la réactivation des injections de liquidités de plus longue maturité sur le marché monétaire, avec la mise en adjudication d’une enveloppe de XAF 150 milliards au titre de cette facilité ; et (ii) la mise en place de mesures d’intervention exceptionnelle directes sur le marché des titres publics, avec le programme de rachats de XAF 600 milliards de titres publics sur le marché secondaire, à raison de XAF 100 milliards par Etat dans la limite de leurs besoins de financement.

2. Etat de mise en oeuvre des mesures adoptées par le CPM face à la crise COVID-19

Au 31 mai 2021, toutes les mesures adoptées par le CPM dans la stratégie de riposte à la crise de la COVID-19 ont été mises en oeuvre.

Concernant les reprises des injections actives de la BEAC sur le marché monétaire, le maintien à XAF 250 milliards du montant mis en adjudication au titre de l’opération principale et les injections sur une maturité de 12 mois ont porté l’encours 1des concours de la BEAC au système bancaire de 252,7 milliards au 31 mars 2020 à 588 milliards à fin mai 2021 (graphique 1). Il y a lieu de préciser que les demandes des banques au titre des interventions hebdomadaires de la Banque Centrale sur le marché monétaire ont progressivement évolué, avec un taux de souscription passant de 13,1% à fin mars 2020 à 124,1% au 31 mai 2021, après un pic de 132,5% observé au 23 mars 2021.

Concomitamment au relèvement du montant de liquidités à injecter sur le marché monétaire, le volume des opérations interbancaires est en hausse, avec un recul des transactions bancaires extra groupe (collatéralisées) et un accroissement des transactions intra groupe (non collatéralisées), traduction de la hausse du niveau de risque perçu par les banques. En effet, évalué à XAF 226,3 milliards en mars 2020 (dont XAF 137,9 milliards d’opérations de pension-livrée et XAF 88,4 milliards d’opérations en blanc), l’encours des transactions interbancaires s’est établi à XAF 230,8 milliards à fin mai 2021 (dont XAF 130,1 milliards d’opérations de pension-livrée et XAF 100,7 milliards d’opérations en blanc), avec un creux de XAF 151,5 milliards en juillet 2020. Avec cette hausse des activités sur le compartiment interbancaire, il a été observé une augmentation du TIMP des opérations en blanc, passant de 3,56% à 4,67% entre mars 2020 et mai 2021, et un recul de celui des opérations collatéralisées, revenant de 5% à 3,50% sur la même période.

S’agissant des mesures relatives au collatéral dans le cadre du refinancement des établissements de crédit, les révisions à la hausse des décotes applicables aux titres publics émis dans la CEMAC admis comme collatéral aux opérations de politique monétaire ont été suspendues et les conditions d’éligibilité des créances privées à court terme ont été assouplies, notamment en ce qui concerne les impayés. En outre, toutes les décotes applicables aux titres publics admis comme collatéral aux opérations de politique monétaire ont été réduites de 800 points de base. Ces réaménagements ont induit une augmentation des facultés d’avances disponibles de plus de XAF 238,4 milliards sur le collatéral public et près de XAF 22,9 milliards sur le collatéral privé. Ils sont en vigueur jusqu’au 30 juin 2021. Ainsi, au 31 mai 2021, la faculté d’avances disponible des contreparties du marché monétaire est évaluée à XAF 2 566,1 milliards, largement au-dessus des besoins de refinancement du système bancaire. Quant aux rachats des titres publics sur le marché secondaire, quatre pays (Cameroun, Congo, Gabon et Tchad) ont adhéré au programme et ont déjà bénéficié des interventions de la BEAC sur certaines lignes de titres. La RCA n’a pas encore introduit de demande d’éligibilité pour ce programme. Au 31 mai 2021, le volume des titres déjà acheté par la BEAC s’élève à XAF 215,6 milliards (Cameroun, 13,2 milliards ; Congo, 61,8 milliards ; Gabon, 77,7 milliards ; Tchad, 62,9 milliards). Il conviendrait de préciser que les conditions de mise en oeuvre du programme de rachats ont été assouplies en mars 2021, notamment avec l’élargissement des titres éligibles aux BTA de 52 semaines et la réduction du seuil d’intervention de la BEAC à une souscription par les SVT d’au moins 10% du montant mis en adjudication par ligne de titres contre 50% auparavant.

3. Evaluation des mesures adoptées par le CPM face à la crise COVID-19

Compte tenu des éventuels effets néfastes de la crise sanitaire liée à la COVID-19 sur les économies de la CEMAC, la majorité des établissements de crédit de la Zone anticipait une détérioration de la qualité de leurs portefeuilles de crédit et envisageait un resserrement de leurs conditions d’octroi de crédit, particulièrement envers les PME et les ménages. Par ailleurs, la dégradation attendue des comptes publics et l’anticipation de la baisse des financements extérieurs induiraient un recours massif des Etats de la CEMAC aux émissions des titres publics pour combler le gap de financement.

Financement du secteur privé

Depuis le début de la crise sanitaire liée à la COVID-19, le système bancaire de la CEMAC a globalement poursuivi son activité de financement de l’économie malgré de fortes incertitudes sur le plan macroéconomique. En effet, entre mars 2020 et février 2021, l’encours des crédits à l’économie s’est accru de XAF 7 785,6 milliards à XAF 8 309,6 milliards. Plus particulièrement, le financement du secteur privé a été maintenu avec un encours des crédits qui est passé de 6 557,7 milliards à 6 845,4 milliards sur la période de référence.

Il ressort également du graphique 2 que la qualité du portefeuille des établissements de crédit de la CEMAC s’est légèrement améliorée durant la crise de la COVID-19. En effet, alors que le taux des prêts non performants dans le système bancaire de la zone s’établissait à 22,2% à fin décembre 2019, il s’est situé à 21,8% au 31 mars 2021, avec un pic observé juin 2020 (24,1%). Il y a lieu de signaler que dans le cadre de sa stratégie de riposte à la COVID-19, la COBAC a pris des mesures d’allègement des règles de déclassement des crédits. Ces mesures, entrées en vigueur en juillet 2020 auraient contribué au repli du taux des créances en souffrance observée à partir de septembre 2020.

Utilisation des ressources injectées par la BEAC

Malgré la crise de la COVID-19, les établissements de crédit qui se sont refinancés auprès de la BEAC ont globalement maintenu l’encours des crédits au secteur privé. En effet, après une baisse observée entre mars et août 2020, l’encours des crédits au secteur privé s’est progressivement redressé pour s’établir à XAF 3 020 milliards à fin mars 2021, niveau supérieur à celui enregistré au début de la crise (XAF 2 737 milliards). Il est à noter que le relèvement de l’encours des crédits au secteur privé de cette catégorie de banques coïncide avec le lancement des premières opérations d’injection de liquidité sur des maturités de 12 mois, dont l’objectif était d’offrir au système bancaire des ressources adéquates pour financer les emplois longs ; l’une des conditionnalités pour bénéficier de ces concours étant de s’engager à ne pas réduire l’encours des crédits à l’économie durant toute la durée de l’opération.

En ce qui concerne la qualité du portefeuille, celle des banques qui se refinancent auprès de la BEAC apparait plus dégradée. En effet, le taux de créances en souffrance de cette catégorie de banques s’est situé au-dessus de la moyenne d’ensemble depuis janvier 2021. Ainsi, la demande de refinancement de ces banques pourrait également être une conséquence des besoins de liquidité résultant de la dégradation de la qualité du portefeuille.

Sur le marché des titres publics, l’encours des titres détenus pour compte propre par les établissements de crédit se refinançant auprès de la Banque Centrale, relativement stable au cours du premier trimestre de l’année 2020, s’est inscrit à la hausse à partir de mai de la même année. Les plus fortes augmentations ont été observées entre novembre 2020 et mars 2021. Il ressort de cette évolution que les reprises des injections actives de la BEAC pourraient avoir favorisé le soutien financier apporté par certaines banques aux Etats à travers le marché des valeurs du Trésor pendant cette crise de la COVID-19 traduisant un comportement de préférence pour des actifs moins risqués que les crédits à l’économie, notamment en période d’incertitudes.

Evolution du coût du crédit bancaire

L’analyse des taux effectifs globaux laisse apparaître une baisse du coût de crédit bancaire dans la CEMAC au deuxième semestre de l’année 2020, aussi bien en glissement annuel qu’en variation semestrielle. Cette situation résulterait de la combinaison de plusieurs facteurs, notamment : (i) le recul de l’activité économique en lien avec les restrictions imposées par le confinement dans la plupart des pays de la Zone pour limiter la propagation de la COVID-19 ; (ii) la sélectivité des clients par les établissements de crédit en rapport avec les incertitudes en période de crise, privilégiant les bonnes signatures pour lesquelles les bénéficiaires ont souvent une forte capacité de négociation des conditions des prêts sollicités ; et (iii) l’assouplissement des conditions d’intervention de la BEAC sur le marché monétaire, qui a rassuré les banques sur la disponibilité des ressources à ses guichets.

Contribution du programme de rachats à la mobilisation des ressources par les Etats

Au 31 mai 2021, l’encours total des titres sur le marché des valeurs du Trésor est de XAF 3 778,5 milliards, dont XAF 3 405 milliards détenus par les banques. Il y a lieu de préciser que 5,7% de ces titres ont été acquis par la BEAC dans le cadre du programme de rachat des titres sur le marché secondaire. Par ailleurs, entre novembre 20202 et mai 2021, l’encours des titres s’est accru de XAF 925,3 milliards. Ainsi, la mise en oeuvre du programme de rachat aurait contribué à hauteur de 23,3% à l’accroissement des ressources mobilisées par les Etats membres de la CEMAC sur ce marché.

4. Ajustement du plan de riposte à la Covid-19 depuis le 28 juin 2021

En raison de la persistance de la pandémie, le CPM a décidé au cours de sa session du 28 juin 2021 de poursuivre sa politique monétaire actuelle jusqu’au moment où il lui apparaitra que la crise sanitaire est terminée ou si elle n’a plus d’incidence sur les économies de la CEMAC. Toutefois, en cas d’une évolution défavorable sensible des indicateurs de stabilité interne ou externe, cette option sera révisée. Par ailleurs, avec la fin de la pandémie et si les perspectives macroéconomiques sont bonnes, la BEAC reviendrait à une politique monétaire centrée sur l’évolution des Facteurs Autonomes de Liquidité Bancaire (FALB) comme avant la crise COVID-19, avec notamment la reprise des ponctions de liquidité et un relèvement progressif du TIAO.

En effet, les perspectives macroéconomiques actuelles de la CEMAC, qui sont favorables entre 2021 et 2024, ont rendu nécessaire l’élaboration d’une stratégie de sortie des mesures accommodantes prises l’année dernière. Deux démarches ont été envisagées :

• la poursuite de la politique monétaire actuelle, renforcée par le monitoring des indicateurs de stabilité monétaire ;

• le changement de l’orientation de la politique monétaire en cas de dégradation sensible de la position extérieure.

S’agissant de la poursuite de la politique monétaire actuelle, les ajustements apportés consistent d’une part, au maintien de certaines mesures, et d’autre part en la suspension ou la prise de nouvelles mesures. Les mesures maintenues se rapportent :

• à l’encours des injections de liquidité à 250 milliards ;

• aux opérations d’injection de liquidité de longue maturité (12 mois maximum) en faveur des banques en besoin de liquidité ;

• aux taux d’intérêt de la Banque Centrale.

La mesure suspendue porte sur les réaménagements des conditions d’éligibilité des garanties aux opérations de refinancement de la BEAC adoptés lors de sa session du 24 juin 2020.

La mesure nouvelle concerne la réactivation des reprises de liquidité via des opérations de maturité longue (1 mois) ciblant les établissements de crédit en excédent de liquidité et désirant faire des placements à la BEAC. Ces opérations seront conduites à un taux fixe indexé au TIAO. Par ailleurs, le programme de rachats des titres publics sur le marché secondaire arrive à son terme à fin août 2021 et ne sera pas reconduit.

Concernant le changement de l’orientation de la politique monétaire en cas de dégradation sensible de la position extérieure, en cas d’érosion accélérée de ses avoirs de réserves, la Banque Centrale entreprendra de resserrer automatiquement sa politique monétaire à travers : i) le relèvement de son taux directeur, ii) la réduction de ses injections de liquidité, à travers la baisse de son refinancement en faveur des banques, iii) la reprise des ponctions de liquidités, et iv) l’augmentation des coefficients de réserves obligatoires.

Les déclencheurs de ces décisions sont : i) un taux de couverture extérieure de la monnaie inférieur à 60 % pendant trois mois consécutifs avec le risque que le taux prévisionnel de couverture extérieure de la monnaie pour l’année en cours soit aussi inférieur à 60 %, ii) un niveau prévisionnel des réserves en mois d’importations de biens et services inférieur à 3 mois pour l’année en cours et iii) un taux d’inflation global en moyenne annuelle supérieur à 3 % pendant trois mois consécutifs avec le risque que le taux d’inflation prévisionnel sur les huit trimestres à venir soit aussi supérieur à 3 %.

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