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32 milliards de Fcfa de fausse facturation entre le Cameroun et le Vietnam

Les pertes sont énormes et d’après l’EIA, le flux illégal de bois représente un total de 58 millions de dollars US, environ 32 milliards de Fcfa, soit 11% du volume total de grumes exportées vers ce pays asiatique entre janvier 2016 et juillet 2020.

Avec 22.523.732 hectares de forêts représentant 48% de la surface du pays, le Cameroun est l’un des grands pays forestiers de la sous–région du bassin du Congo. Mais la contribution du secteur forestier à ses recettes budgétaires paraît marginale. Pour les exercices 2018 et 2019, l’apport des entreprises forestières au budget de l’Etat était respectivement de 51 milliards Fcfa et 49,4 milliards Fcfa, soit de 2,3% et 2,4% en valeur relative tel qu’il ressort des rapports annuels de la Direction générale des Impôts (DGI) pour les exercices concernés. La faible contribution du secteur forestier aux recettes budgétaires s’explique par la corruption, le commerce illicite de bois, les coupes illégales et les fausses facturations dans le secteur. Le dernier rapport d’enquête rendu public en novembre 2020 par Environmental Investigation Agency (EIA) et le Centre pour l’Environnement et le développement (CED) Cameroun, fait état du commerce illicite de bois entre le Cameroun principalement et le Vietnam. Ce rapport révèle que les transactions financières se font en espèces et reposent sur des déclarations erronées. « Entre 2014 et 2017, les exportateurs du Cameroun ont déclaré 308 millions de dollars US, soit plus de 166 milliards de dollars de moins que les importateurs du Vietnam », lit-on dans ce document intitulé « bois volé, temples souillés ».

Environ 19 sociétés vietnamiennes opèrent sur le territoire camerounais. Et, une société vietnamienne typique de premier rang établie au Cameroun exporte, selon EIA, généralement un minimum de 2.500 grumes par mois, soit un total de 30.000 à 40.000 mètres cubes de grumes commercialisées en moyenne par an. Ce qui d’après Ghislain Fomou, expert en environnement représente financièrement environ 5 milliards de Fcfa, « si nous fixons une moyenne par mètre cube de bois pour tout essence confondue à 150 000 Fcfa ».

Les grumes constituent la grande majorité du commerce de bois entre le Cameroun et le Vietnam, soit 73% entre 2016 et 2019. Ce pays d’Asie est devenu le deuxième plus grand marché pour le bois camerounais après la Chine, tandis que le Cameroun est devenu le premier fournisseur de grumes tropicales du Vietnam soit 25% des grumes importées de 2016 à 2019. Le rapport de suivi de l’indicateur 3.4 A/S sur l’amélioration des performances des recettes forestières, produit par le programme de sécurisation des recettes forestières sous la tutelle de la DGI et du ministère des Finances (Minfi) du Cameroun, indique qu’en 2018, le Vietnam a exporté 590599,4 mètres cubes de bois. Et en 2019, le niveau de ces exportations a connu une amélioration, et est passé à 677133,4 mètres cubes.

Pertes

Depuis novembre 1999, le Cameroun a adopté une interdiction partielle d’exportation de grumes qui proscrit strictement l’exportation de certaines essences de bois sous forme de grumes. Selon les estimations d’EIA, 132.000 mètres cubes de grumes au minimum, ont été exportés du Cameroun vers le Vietnam en violation de l’interdiction partielle d’exportation de grumes entre janvier 2016 et juillet 2020. Les essences concernées sont : « doussie », « mukulungu », « sapelliv », « padouk » et « movingui ».

« Ce flux illégal représente un total de 58 millions de dollars US, (32 milliards de Fcfa) soit 11% du volume total de grumes exportées vers le Vietnam », apprend-on. Ce montant représente le double du budget 2021 (15,95 milliards F) sollicité par le ministère des Forêts et de la faune (Minefof) pour la réalisation de quatre projets liés à la sécurisation du domaine forestier, le reboisement et la reforestation, ainsi que le développement de la deuxième phase de l’intégration du système forestier de management informatique.

La sous-déclaration du commerce du bois est constatée du côté camerounais. Selon l’EIA, il existe un écart important entre la valeur des produits dérivés que le Cameroun déclare comme étant exportés vers le Vietnam, et celle que le Vietnam déclare comme étant importés du Cameroun.

« Entre janvier 2009 et décembre 2017, l’écart total s’élevait à 420 millions de dollars (227 milliards de Fcfa), soit 356 millions de dollars US (environ 193 milliards de Fcfa) pour les grumes et 63 millions de dollars US (plus de 34 milliards de Fcfa) pour les produits transformés », nous révèle EIA avant d’ajouter. « L’écart, qui s’élevait en moyenne à 90 millions de dollars US, soit près de 487 milliards de Fcfa par an entre 2015 et 2017, indique une énorme perte de recettes fiscales pour le Cameroun ».

En outre, certains professionnels du secteur estiment également que la valeur FOB, qui est la valeur du bois à l’exportation, pourrait donner voie aux fausses déclarations. Ceci dans le sens « où ces valeurs ne correspondent pas certainement à la valeur réelle de ces essences sur le marché. En fait le prix des essences fluctue sur le marché et pour cela la valeur FOB doit être révisée chaque 6 mois suivant les prix sur le marché international ; or depuis trois ans l’arrêté de constatation des valeurs FOB n’a pas été révisé », précise Ghislain Fomou, également Chargé du Programme gestion des ressources naturelles au Saild. Une ONG qui milite en faveur des initiatives locales de développement.

Ventes de coupe

Au Cameroun, l’exploitation forestière se fait dans les forêts classées comme « domaine forestier permanent » et « domaine forestier non permanent ». Le domaine forestier permanent est constitué des Unités forestières d’Aménagement (UFA), des forêts communales, des aires protégées et des réserves forestières. Le domaine forestier non permanent comprend les forêts communautaires, les ventes de coupe et les permis de récupération du bois. D’après l’EIA, une grande partie du bois exporté par certaines sociétés commerciales vietnamiennes provient de titres camerounais d’exploitation forestière non durable, notamment des ventes de coupe. La zone attribuée par vente de coupe est entièrement ouverte à l’exploitation, ce qui n’est pas le cas des aires protégées.

« Certaines sociétés vietnamiennes ont besoin 4.000 mètres cubes par mois. Elles s’approvisionnent dans de petits titres forestiers [ventes de coupe], auprès de Camerounais, Libanais, Chinois », fait savoir l’EIA. Si le gap n’est pas atteint, ces sociétés commerciales vietnamiennes s’appuient sur le bois illégal provenant des zones interdites comme les faunes, réserves et les parcs et le paiement se fait en espèce pour ne pas laisser de traces. « Des sources ont confié aux enquêteurs de l’EIA que les scieries mises en place par les sociétés vietnamiennes leur permettent de blanchir rapidement le bois illégal en le transformant de façon approximative, en effaçant les marques ou en cachant l’absence de marques requises », nous renseigne Samuel Nguiffo, responsable CED Cameroun.

Approchées, certaines sociétés vietnamiennes installées dans la région du Littoral n’ont pas voulu s’exprimer sur le sujet. Cependant, l’une d’entre elles a affirmé toujours utiliser le bois légal dans leur activité. « Nous ne sommes pas impliqués dans un commerce illicite de bois, les essences transformées dans notre structure sont règlementées », a affirmé un responsable de la structure Wood Senses, dont les activités sont en arrêt depuis presque un an.

A travers le Système normalisé d’observation indépendante externe (Snoie), certifié ISO 9001 :2015, l’association Forêts et développement rural (Foder) qui mène depuis 2015 une surveillance accrue dans le secteur bois a recensé lors de ces missions d’observations, (18 missions en 2019) quelques infractions, dont : l’exploitation au-delà des limites du titre valide et l’exploitation non autorisée dans les forêts du domaine national. Les dénonciations faites par Foder ont permis au gouvernement camerounais de recouvrer un montant de plus de 15 millions Fcfa, au titre de la vente aux enchères des bois saisis et des amendes. Mais au regard des irrégularités constatées Foder, estime que, « l’Etat devrait ainsi pouvoir recouvrer un montant d’environ 61 millions Fcfa pour un volume d’environ 1612, 528 mètres cube de bois »

Président du Syndicat des Transformateurs industriels et exportateurs des produits forestiers spéciaux (Stiepfs), André Jules Ndouga est contre le commerce illicite de bois. « Les sociétés vietnamiennes comme beaucoup d’autres entreprises étrangères sont impliquées dans le commerce illégal de bois au Cameroun. En plus les facturations liées aux exportations de grumes ou de bois sciage ne sont quasiment jamais exactes. Une situation qui met à mal l’économie du pays et fait perdre des milliards de Fcfa », martèle-t-il.

Au niveau du programme de sécurisation des recettes forestières, l’on reconnait que les effets cumulés de l’industrialisation croissante de la filière et la promotion de la bonne gouvernance, pourraient atténuer l’impact financier négatif des pratiques illégales qui affaiblit la contribution budgétaire du secteur forestier.

*Cet article a été rédigé par [Le Financier d’Afrique] dans le cadre de “La Richesse des Nations”, un programme panafricain de développement des compétences médias dirigé par la Fondation Thomson Reuters en partenariat avec TrustAfrica. Plus d’informations sur http://www.wealth-of-nations.org/fr/. La Fondation Thomson Reuters n’est pas responsable des contenus publiés, ceux-ci relevant exclusivement de la responsabilité des éditeurs.

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