Les créateurs de richesse ont fait part au chef de gouvernement de leurs remarques et leurs appréhensions.
Pour réaliser le Plan présidentiel de reconstruction et de développement (Pprd) des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le gouvernement camerounais a décidé de se tourner vers le secteur privé. La première phase du Plan étalé sur deux à trois ans, étant estimée à 89 milliards de Fcfa, seulement 10,4 milliards ont été mobilisés. Cet écart a donc conduit le gouvernement vers le secteur privé, afin de trouver des financements nécessaires pour les activités de cette phase de relèvement qui implique la promotion de la cohésion sociale, la réhabilitation des infrastructures sociales de base et la revitalisation de l’économie locale.
Les hommes d’affaires veulent apporter leur contribution. Cependant, certains sont sceptiques sur les priorités accordées à l’investissement. Le président de la Chambre de commerce des industries des mines et de l’artisanat (Ccima), propose par exemple de donner la priorité à l’agriculture. « Sans l’agriculture, je pense qu’on ne pourra pas stabiliser les jeunes dans ces zones. L’agriculture est très importante parce l’agriculture nourrit l’industrie… », relève Christophe Eken. Dans le même sillage, André Siaka, l’ancien président du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) et patron de la société de BTP Roud’Af, met l’accent sur l’emploi des jeunes. Pour sa part, l’actuel président du Gicam, pense qu’il il est important que dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les statistiques du nombre de victimes soient remplacées par les statistiques du nombre d’emplois crées. « Il est question de tronquer l’arme par un emploi », conseille Célestin Tawamba. Toutefois, le patron du Gicam souligne que « les chefs d’entreprises ne cachent leur perplexité et leur scepticisme ». « Perplexité parce qu’ailleurs dans le monde dans le contexte de la Covid-19, ce n’est pas l’Etat qui a besoin d’un soutien du secteur public, c’est le gouvernement qui apporte des aides en soutien aux entreprises ; scepticisme par rapport à l’utilisation des contributions qu’ils souhaitent faire, tant, par le passé les appels de fonds n’ont pas toujours bénéficié de la nécessaire transparence dans leur gestion. Au surplus, et actualité oblige, les chefs d’entreprises sont dans la crainte de voir leurs contributions faire l’objet d’un usage inapproprié », détaille-t-il.
Le patron de la Cameroon Development Corporation, Franklin Ngoni Njie, a réitéré qu’il est important que chaque effort qui a été fait, soit pris en considération et aussi veiller à ce que tout soit fait comme il se doit. Dans le cas contraire, « ça va être difficile à relever ». « Si je prends la zone où la CDC opère par exemple, à cause de l’impact de la crise, qui a causé la chute drastique des revenus des ventes des produits de 55 millions de Fcfa à 3,8 millions en 2019, l’établissement est totalement en incapacité. En outre, tout le réseau dans les zones des opérations et je parle ici de 2800 km de route, zones qui sont difficilement accessibles, l’établissement est incapable de poursuivre la continuité de ses activités », précise encore Franklin Ngoni Njie
Les avis des autorités en charge des Collectivités territoriales décentralisées (CTD) s’inscrivent dans la même lignée que les chefs d’entreprises. C’est le cas du président du Conseil régional du Nord-Ouest pour qui certaines actions peuvent immédiatement être engagées dans sa région. Et le Pr Fru Angwafor de citer : « l’entretien des routes, l’éclairage, la construction de gouttières, et dans le chapitre d’assainissement urbain : le ramassage des ordures, la distribution et vente des fumiers, la mise en place des latrines modernisées, la construction des chambres d’eau usées, la production du biogaz, la collecte des déchets plastiques, la collecte des déchets métalliques et construction des puits et forages, etc. ».
Rappelons que le plan de restructuration du NO-SO est constitué de trois phases : le relèvement ; la reconstruction ; et le développement. Mais la réussite dudit plan repose sur la Paix. « La résolution pacifique de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, reste la priorité absolue du gouvernement, et que le dialogue demeure l’option privilégiée par le chef de l’Etat. Dans ce sens, le concours du secteur privé est plus que jamais attendu pour mettre un terme à ces années de souffrance des populations innocentes. Il nous revient de voir ce que nous voulons faire ensemble pour la reconstruction des régions en crise dans la dynamique constante des partenariats mutuellement bénéfiques entre le secteur privé et le secteur public », a affirmé Joseph Dion Ngute, Premier ministre, chef du gouvernement.
REACTIONS
Joseph Dion Ngute, premier ministre
« Les entreprises ont un rôle significatif dans le processus de reconstruction »
Les contributions financières du secteur privé représentent près de 70% du volume des recettes fiscales dans notre pays. En 2019, ces contributions couvraient déjà près de 40% du budget de l’Etat. Ces quelques indicateurs traduisent le poids de ce secteur dans la production de la richesse nationale. C’est aussi l’expression du rôle significatif que les entreprises peuvent jouer dans le processus de reconstruction des régions sinistrées de notre pays. Au regard de la détérioration de la situation politique dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest, le président de la République a pris une série de mesures visant à répondre aux préoccupations formulées par les organisations syndicales qui étaient à l’origine de ces crises… Il est évident qu’en raison de la crise sécuritaire au Nord-Ouest et Sud-Ouest dans notre pays, une mobilisation particulière de ces deux régions demeure l’une de nos principales priorités. Il est évident que le chômage massif des plus jeunes à favoriser leur enrôlement dans des groupes armés. Aujourd’hui, plusieurs de ces jeunes ont déposés leurs armes, un nombre significatif de ces jeunes ont déjà intégré les centres de désarmement et de réintégration mis en place. Cette volonté malheureusement est freinée par l’absence de perspectives en termes d’emplois et de réinsertion sociale. Je suis persuadée que la reprise des investissements dans ces deux régions à travers la réalisation de micro-projets générateurs d’emplois pour le recrutement direct de certains jeunes, pourrait inciter ceux qui hésitent encore à sortir de la brousse… J’invite à cet égard les partenaires du secteur privé à prendre leur part dans le processus de reconstruction déjà engagé, afin de favoriser une reprise rapide des activités économiques et commerciales…
Célestin Tawamba, président du Gicam
« Placer l’économie au coeur des efforts nationaux pour le retour de la paix »
Il est considérable, tant ces deux régions en 2017, représentaient 20% de la production agricole du pays et une grande partie des filières agricoles d’exportation : 45% de la production cacaoyère nationale pour le Sud-Ouest, 70% de la production de café arabica pour le Nord-Ouest, plus de la moitié de la production d’huile de palme et 20% de la production de féculents (maïs, manioc, pomme de terre, banane douce). C’est véritablement le grenier agricole de notre pays. Qui plus est, des entreprises emblématiques de ces régions telles que la CDC, Pamol, CTE, etc. se retrouvent aujourd’hui en quasi-arrêt d’activités, accumulant d’importants arriérés en termes de dettes aux fournisseurs et de dettes sociales et forcées de licencier des personnels. Cette situation a contribué à faire naître et aggraver les crises de devises. Les entreprises ont un grand intérêt à voir la crise réglée et la paix restaurée. Elles jouent un rôle moteur dans le développement de l’économie et, dans le même temps, elles sont le creuset de l’intégration nationale, le reflet de la diversité du peuple camerounais, et elles servent de rempart aux velléités de divisions et de rupture de notre lien national. C’est pourquoi, notre conviction est que les options sécuritaires et politiques ayant trouvé leurs limites, le moment est venu de leur adjoindre une troisième composante : placer résolument l’économie au coeur des efforts nationaux visant le retour de la paix dans ces deux régions…Toutefois, mus par une volonté viscérale de servir la paix qui reste une pré-condition au développement des activités économiques, les chefs d’entreprises réitèrent leur engagement à aider et, pour ce faire, des garanties et des mesures complémentaires sont nécessaires pour servir cette cause véritablement nationale. Il s’agit notamment de la poursuite d’un dialogue national jusqu’à l’arrêt des hostilités, la sécurisation physique des investissements, la transparence dans la gestion des fonds issus de la contribution des entreprises, la mise à disposition de garanties de l’Etat au profit du secteur financier disposé à lever des prêts syndiqués à taux bonifiés au profit des entreprises dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et la révision de votre Décret de septembre 2019, portant reconnaissance du statut de zone économiquement sinistrée aux régions de l’Extrême-Nord, du Nord et du Sud-Ouest, avec pour objectifs complémentaires de faciliter la mobilisation des contributions, et d’écarter tout risque de litige fiscal dans les opérations de soutien.
Christophe Eken, président de la Chambre de Commerce
« Sans la paix, il n’y a pas les affaires »
Il faut noter que c’est avec la paix que les choses reviendront dans la normalité. Sans la paix, il n’y a pas les affaires. Il y a des entreprises qui ont eu auparavant à investir dans ces zones et qui ont souffert. Elles ont vu leurs affaires complètement atténuer. Ces entreprises là, nous pensons qu’il faut les écouter… elles sont mieux placés pour nous conseiller. Nous avons eu à vous remettre (Premier ministre, Ndlr) un livret qui résulte d’une contribution des membres de la Chambre de commerce, de l’industrie des mines et de l’artisanat du Cameroun et dans ce livret, nous avons donné une très grande part à l’agriculture.
André Siaka, fondateur de l’entreprise Roud’Af
« Notre besoin est d’être accompagné et d’avoir une garantie »
Une fois que la paix est rétablie, tous les programmes que nous initions seront plus faciles à conduire. Je suis ravie que nous soyons passés d’un programme humanitaire d’urgence à un plan de reconstruction, ce qui montre que l’on cherche à sortir de la situation dans laquelle nous sommes. Le ministre Paul Tasong, dans la présentation du programme, a noté que 2019 semble avoir été l’année où les répercussions socio-économiques de la crise sécuritaire se sont faites le plus ressentir et qu’on observe une légère reprise de l’activité depuis 2020. Cela va-t-il se confirmer en 2021 et 2022 ? Il faudrait que nous sachions quelles sont les éléments qui nous permettent d’atteindre cette perfection, pour que l’on puisse appuyer sur les raisons qui ont permis d’obtenir l’inflation. L’emploi des jeunes étant une priorité, j’ai la chance d’être dans un secteur, celui des travaux publics, dont la main d’oeuvre est indispensable. Ce secteur permet de résoudre les problèmes de connectivité, de mobilité des personnes. Donc, dans la démarche pour rétablir la paix, nous pensons qu’une sécurité assurée aux entreprises de travaux publics qui ont déjà payé d’autres tribus est nécessaire. Notre besoin est d’être accompagné et d’avoir une garantie que si nous perdons du matériel, on aurait une source quelconque de compensation…
Kate Fotso, patronne de Telcar Cocoa
« Mettre l’accent sur la rééducation des jeunes »
Pour une économie résiliente, beaucoup d’aspects doivent être pris en compte. Et en ce qui concerne le NO-SO, nous essayons de trouver des solutions à la crise. Mais il faut avoir le courage d’adresser le véritable problème qui pousse les jeunes à s’enrôler dans les groupes armés ou à rester dans ces zones. En outre, certains individus cherchent leur propre intérêt au lieu de poser des actions qui pourraient aider toute l’économie. Je pense que nous devons tous faire partie de ce programme et mettre l’accent sur la rééducation. Nous devons rééduquer la population à propos des solutions qui ont été mises en place pour surmonter les problèmes qui se passent au NO-SO. Nous devons aussi montrer aux autres (anglophones) que leurs ennemies ne sont pas les francophones. Nous devons garder ce qui est important pour notre population et leur dire que la violence ne mène nulle part, elle nous ramène plutôt en arrière.