La place de l’Afrique dans le commerce mondial, la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), les relations économiques entre l’Afrique et l’Union européenne (UE) ou encore l’émergence économique du continent noir, sont les quelques points ayant fait l’objet d’un développement conséquent par Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du Commerce entre 2005 et 2013. Le diplômé de l’Ecole des Hautes études commerciales (HEC) de Paris a fait une analyse succincte d’un pan de l’économie africaine dans une interview accordée la semaine dernière au journal Afrique La Tribune.
Evoquant tout d’abord la faible part du continent africain dans le commerce international, Pascal Lamy met en cause, la partition coloniale de l’Afrique en une cinquantaine de pays, ou la taille relativement réduite, des économies africaines. « Le pire héritage colonial, ce sont les frontières ! C’est d’ailleurs un paradoxe historique que la décolonisation politique se soit faite au nom de ces frontières et avec ces frontières, et que la décolonisation économique passe par leur effacement », déplore le Français. Comme on ne cesse de le décrier, la délimitation de l’Afrique par les puissances coloniales n’a en effet pas tenue compte des réalités ethnico-culturelles. Ainsi, au-delà des répercutions sur le plan économique, ces démarcations fabriquées de toutes pièces par les occidentaux, sont aujourd’hui à l’origine des conflits frontaliers et mêmes sécessionnistes observés dans divers coins du continent. Cela peut d’ailleurs justifier le fait que même sur le plan interne, le commerce intra-africain demeure tout aussi faible.
Toutefois, la Zlecaf dont l’opérationnalisation est effective depuis janvier 2021, pourrait faire évoluer les choses dans le bon sens. Car selon Pascal Lamy, ce vaste marché de plus d’1,3 milliard d’habitants, est un tournant considérable qui va permettre de faire progresser certains marchés africains à l’échelle mondiale. « Ces pays africains avec des marchés de 15 ou 30 millions d’habitants ne correspondent pas à l’unité de base des marchés de consommation actuels, compris entre 100 et 200 millions de consommateurs. Il faut maintenant que la mise en oeuvre de la Zlecaf suive et cela prendra du temps. Les Etats perdront des recettes douanières assez copieuses qu’il faudra remplacer par des impôts sur la consommation, ce qui ne va pas de soi », analyse l’ex commissaire européen du commerce.
Par ailleurs, conscient du rôle stratégique que va jouer l’Afrique dans les échanges mondiaux, l’expert en question de commerce qui pense que « l’avenir européen passera par un partenariat stable et solide avec l’Afrique», invite les dirigeants du vieux continent à sortir de l’approche d’aide au développement européenne qui a longtemps consisté à apprendre aux Africains à faire comme eux. Car contrairement à l’Europe, l’Afrique a le choix de ses partenaires qui peuvent être asiatiques ou américains. « Plusieurs raisons nous poussent à agir avec l’Afrique, à commencer par nos proximités géographiques, historiques et culturelles. L’avenir passera par un partenariat ‘’de continent à continent’’ et c’est une révolution copernicienne », a prévenu M. Lamy.
Et enfin, compte tenu de son énorme potentiel (démographie, ressources naturelles, dynamisme, inventivités des entrepreneurs), l’émergence économique de l’Afrique est tout à fait possible. Mais il faut au préalable surmonter les obstacles liés à la mal gouvernance et au déficit des infrastructures qui freine son industrialisation. « Ensuite, les conditions du succès de l’économie africaine reposent sur les financements et sur la réduction de la prime de risque que demandent les financeurs, aujourd’hui trop élevée », conclu Pascal Lamy.