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Le Cameroun perd 143,75 milliards de Fcfa de recettes fiscales

Alors que le ministère des Finances certifie une production de 233,2 kg en 2020 au Cameroun, le Centre pour l’Environnement et le développement (CED) indique un volume plus important. Une grande partie de ce minerai précieux se vend dans le marché noir, ce qui entraine une perte de recettes pour le Cameroun.

Entre 2019 et 2021, la Douane camerounaise a intercepté plus de 125kg d’or a l’aéroport international de Douala soit, 25 kg en 2019 ; 20,2 kg en 2020 et 40,6 kg en 2021. De nombreuses autres saisies ont été faites au poste frontalier de Garoua-Boulai (frontière avec la RCA) dans la région de l’Est Cameroun. Ces quantités d’or happées par les services douaniers et policiers interpellent pour un pays qui attire de plus en plus des investisseurs miniers. A titre illustratif, au 31 décembre 2020, le Cameroun comptait 267 titres miniers actifs dont 160 permis de recherche (contre 134 en 2019 et 161 en 2018), 5 permis d’exploitation, 67 permis d’exploitation d’une carrière industrielle et 35 autorisations d’exploitation d’une carrière d’intérêt public, révèle le rapport 2020 de l’Initiative pour la transparence dans les Industries extractives (Itie) Cameroun.

Selon ce rapport, le Capam, devenu la Société nationale des mines (Sonamines), chargée de l’organisation et la promotion des activités minières artisanales, a collecté 58,30 kg d’or en 2020. La vente de ce minerai a généré des revenus évalués à 1,08 milliard de Fcfa, représentant 0,16% du montant global que génère le secteur extractif au Cameroun, estimé à 663,05 milliards Fcfa en 2020. La quantité d’or collecté représente 75,76% de l’or intercepté par la douane en 2020. D’autres sources gouvernementales indiquent des quantités différentes de production. Pour l’année 2018, alors que le rapport Itie informe que la production totale d’or du Cameroun est de 456,597 kg, d’une valeur totale de 8,447 milliards Fcfa, les Émirats Arabes Unis (EAU), le plus gros acheteur du métal jaune camerounais, a déclaré avoir importé 11,7 tonnes d’or de ce pays, d’une valeur de 350 milliards de Fcfa.

En outre, le rapport sur « la situation et les perspectives économiques, sociales, et financières de la nation » réalisé par le ministère des Finances (Minfi) et rendu public en 2020, indique que la production de l’or au Cameroun est à 233,2 kg. Ces écarts de chiffres cachent l’inorganisation du secteur et l’incapacité de l’Etat camerounais à suivre et contrôler l’exploitation artisanale.

PErtEs FiscaLEs

Cette assertion est d’autant plus vraie parce que des sources issues de la société civile contredisent les chiffres officiels. En effet, le rapport rendu public en 2022 par le CED et l’ONG « Publiez Ce Que Vous Payez » (PCQVP) Cameroun, démontre sur la base des chiffres communiqués par les agences spécialisées en matière de négoce de l’or, que le Cameroun exporte des quantités plus importantes d’or. D’après ce rapport intitulé « Cameroun, l’or secteur miné », les exportations d’or du Cameroun pour l’année 2018 représentaient une valeur totale d’environ 575 milliards de Fcfa. Une somme largement supérieure au 1,08 milliard de Fcfa déclaré dans le rapport Itie 2020. Les 575 milliards de Fcfa, représentant le double du budget du ministère de la Santé publique en 2023 (229 milliards de Fcfa). En calculant l’impôt synthétique de 25% qui aurait pu être collecté par le gouvernement camerounais sur les 575 milliards de Fcfa, les enquêteurs du CED constatent que le Cameroun a perdu 143,75 milliards de Fcfa de fiscalité au cours de l’année 2018.

FaibLE coNtrôLE DE La ProDuctioN artisaNaLE D’or au camErouN

Les révélations du CED montrent qu’il y a une faille dans le système de traçabilité de l’or produit au Cameroun. Une production et un circuit de commercialisation qui se font de manière informelle.

En effet, l’or collecté dans les sites miniers artisanaux par les artisans miniers, est revendu aux collecteurs. Ce sont ces derniers qui entretiennent le circuit informel. Une assertion confirmée par Justin Chekoua, expert en mines, par ailleurs responsable Programme Mines, Biodiversité et Énergie à l’ONG Forêts et Développement rural (Foder) : « Il faut rappeler que l’exploitation de l’or est contrôlée à plus de 90% par le secteur informel ».

Une affirmation vérifiée à Ngoe Ngoe, village situé dans l’arrondissement de Goura, département de Lom et Djerem, région de l’Est Cameroun. Sanda, orpailleur depuis une quinzaine d’années, vend les poudres jaunes qu’il extrait des sites miniers aux agents des bureaux d’achats présents dans les villages. Les bureaux d’achats sont ces structures qui disposent d’agréments pour l’achat et le commerce de l’or. Le business marche bien, puisque le gramme d’or est actuellement vendu entre 30 000 Fcfa et 32 000 Fcfa, une fois qu’il est fondu. Par semaine, chaque artisan vend aux collecteurs entre 5 et 7 grammes, selon leur dire. Djoubero, orpailleur et Président de la Coopérative d’exploitation artisanale « Ndong Ti Ndim de Kentzou », renseigne qu’ils ont un lien direct avec les bureaux d’achats.

Rencontré à Batouri, à 120 km de Kentzou, Adamou (nom d’emprunt), propriétaire d’un bureau d’achat, tout en regardant sur son téléphone les cours de l’or à l’international, explique brièvement la technique de fraude de l’or : « L’or acheté aux orpailleurs est fondu dans les fonderies. Il est ensuite emballé dans des papiers que l’on dispose dans un sac ou une valise pour traverser les postes de douanes terrestres. Le plus difficile est de traverser les douanes à l’aéroport. Mais nous avons des personnes ressources là-bas qui nous aident à faire traverser cela facilement ». Ce vendeur d’or ne travaille pas seul. Pour traverser les frontières camerounaises par voie aérienne avec le métal jaune, il reçoit l’aide de personnes qui travaillent à l’aéroport, sans plus de précision.

Les explications fournies par l’expert en mines Justin Chekoua, corroborent cette technique. « Certains agents de Douane sont en effet complices de ces contrebandiers », affirme-t-il. Au niveau de la Douane, l’on reconnaît tout de même que des failles sont visibles dans le système de surveillance. « Les contrebandiers sont des personnes informées. Ils connaissent parfois le jour où la surveillance est plus faible, c’est-à-dire, qu’ils ont identifié les agents qui sont efficaces à leur poste avant de programmer leur voyage. Des vulnérabilités sont détectées au niveau de la surveillance », fait savoir une source bien introduite au sein de cette administration au Cameroun. Et d’ajouter qu’il y a des choses à perfectionner. « De plus, le personnel n’a pas la maîtrise nécessaire pour savoir que ceci c’est la poudre d’or ou le diamant, etc. », informe la source. Parmi les quantités d’or frauduleusement exportées à partir du Cameroun, l’on retrouve de l’or issu de la République centrafricaine. Ceci s’explique par le fait que de nombreux échanges se font entre les deux pays. « Il y a une longue frontière entre la RCA et le Cameroun, ce qui favorise beaucoup le trafic des minerais », fait savoir Justin Chekoua.

DaNs L’attENtE DE L’imPact DEs mEsurEs PrisEs Par L’Etat

Pour limiter le trafic de l’or, le gouvernement camerounais a pris un certain nombre de mesures, notamment fiscales. Depuis janvier 2017, le Capam prélève un impôt synthétique de 25% sur la production conformément au Code minier en vigueur. Cette taxe est répartie en acompte mensuel de l’Impôt sur les Sociétés (2,2%), la part de l’État (17,8%) et la Taxe ad Valorem (5%). Il y a aussi les droits et taxes à l’exportation, dont le taux est fixé à 2% de la valeur imposable

.Dans l’optique d’accroître sa réserve d’or, le gouvernement a également facilité l’accès au permis d’exploitation artisanal d’or afin de formaliser et contrôler le secteur. Dans les aéroports, la surveillance s’est accrue, nous fait-on savoir, au niveau ministère des Mines, de l’industrie et du développement technologique.

« La seule justification de l’exploitation de l’or est sa contribution au développement national et local. La faiblesse du contrôle de l’État sur la production et le transit prive le Trésor public et les communes de ressources financières importantes. Les volumes d’or déclarés comme étant produits au Cameroun sont finalement anormalement bas, tout comme les impôts perçus au Cameroun. On peut donc conclure que l’or camerounais profite plus aux sociétés qui le produisent qu’à l’État et aux populations locales », commentent les experts du CED dans leur rapport.

Cet article a été rédigé par (Le Financier d’Afrique) dans le cadre de “La Richesse des Nations”, un programme panafricain de développement des compétences médias dirigé par la Fondation Thomson Reuters, en partenariat avec TrustAfrica. Plus d’informations sur . La Fondation Thomson Reuters n’est pas responsable des contenus publiés, ceux-ci relevant exclusivement de la responsabilité des éditeurs.

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