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Haro sur la gestion des fonds Covid-19 au Cameroun et au Mali

Surfacturation, non-respect du code des marchés publics, détournements… Les irrégularités dans les dépenses liées à la lutte contre le coronavirus ont été nombreuses dans ces deux pays. Deux experts plaident pour des réformes.

Le “covidgate”. C’était la Une choc en mai dernier du journal Jeune Afrique à propos de la gestion au Cameroun du fonds d’urgence pour la lutte contre la Covid-19. Le Fonds monétaire international (FMI) venait alors de réclamer un audit indépendant sur l’utilisation de l’argent. Au Mali comme au Cameroun, les irrégularités ont suscité un tollé au sein des populations.

Ce ne sont pas des cas uniques. D’autres pays africains, comme le Kenya, la République démocratique du Congo (RDC), le Malawi, ont aussi vécu des problèmes similaires avec de l’argent destiné à la lutte contre la Covid-19, détourné par des agents corrompus ou simplement mal utilisé. En Afrique du Sud, on a même donné un nom, les “covidpreneurs” (pour “entrepreneurs de Covid), à ceux qui ont tiré profit illégalement de la gestion de la pandémie.

Pour cet article, les journaux Le Financier d’Afrique du Cameroun et Malitribune. com, basé à Bamako, ont collaboré ensemble pour mettre en lumière les similarités et les différences entre les deux pays dans la mauvaise gestion des fonds Covid.

Face à cette crise sanitaire, qui a fait plus de 1790 morts au Cameroun et environ 1000 décès au Mali, ces deux pays avaient chacun mis en place en mars 2020, un fonds spécial de solidarité pour lutter contre le Coronavirus. Avec des montants conséquents : 132,37 milliards de Fcfa (228 millions de dollars) pour le Mali, et 180 milliards de Fcfa pour le Cameroun.

Face au scandale, les gouvernements malien et camerounais n’ont pas produit des audits satisfaisants. Il a fallu que le Bureau du vérificateur général du Mali et la Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun, deux organes indépendants, entrent en scène pour confirmer en juin les abus financiers.

Au Mali, le Vérificateur général, Samba Alhamdou Baby et son équipe, ont constaté que la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (CCIM) a attribué six marchés (pour un montant total de 9 462,5 millions de Fcfa ), dont celui de l’achat de masques de protection, à des sociétés étrangères ivoiriennes qui n’avaient pas d’existence légale. Après l’octroi des marchés, ces sociétés n’ont pas pour autant rempli les formalités d’immatriculation auprès des services fiscaux et parafiscaux maliens. Elles ne se sont pas acquittées non plus des droits d’enregistrement et de la redevance de régulation des marchés. Malgré cela, la CCIM a intégralement payé ces sociétés après qu’elles aient exécutées les marchés.

On retrouve ce type d’irrégularité au Cameroun. L’entreprise Mediline Medica Cameroon (MMC), spécialisée dans la fourniture d’équipements médicaux, s’est vue attribuer des marchés alors qu’elle n’a justifié d’aucune activité depuis sa création en septembre 2017. C’est avec le fonds Covid-19 qu’elle a été ressuscitée. MMC, identifié par la Chambre des comptes comme une société écran, a imputé au ministère de la Santé publique, des prix disproportionnés (384.549.750 Fcfa) pour le transport des tests de dépistage qu’elle produit. Ce qui a porté le prix du test de dépistage “Standars Q Covid-19 AG Test”, acheté chez MMC, à 17 500 Fcfa l’unité, alors qu’il était proposé à 7 084 Fcfa chez d’autres fournisseurs, soit 60% moins cher. Cette surfacturation a gonflé le coût de cette mesure à 14.581.884.800 Fcfa , alors qu’elle avait été initialement budgétisée à 4.740.785.000 Fcfa. Lors de l’audit, la Chambre des Comptes a également constaté qu’il manquait à la livraison 610.000 tests commandés.

Les gouvernements malien et camerounais n’ont pas souhaité réagir aux conclusions dévastatrices de ces audits. “Nous ne nous prononçons pas sur ces rapports”, a indiqué clairement un cadre du ministère de la Santé publique du Cameroun. Même son de cloche du côté du Mali.

Pour l’expert camerounais, Jean Mballa Mballa, spécialiste des questions liées aux Flux financiers illicites (FFI), la transparence dans la passation de ces marchés a fait défaut. Il interroge le jeu trouble de certains acteurs. “Est-ce qu’il n’y a pas eu des conflits d’intérêts, des délits d’initiés ? Ce sont des problèmes sur lesquels on doit pouvoir travailler en amont pour limiter au maximum les phénomènes de flux financiers illicites”, insiste le directeur du Centre régional africain pour le développement endogène et communautaire (Cradec).

L’économiste malien Mamadou Traoré fait un constat similaire. “Les fonds mis en place pour lutter contre la Covid-19 ont simplement été l’objet de transactions frauduleuses”, juge-t-il, “il n’y a pas eu de contrôle strict dans l’utilisation de cet argent”. Une dérive encore plus douloureuse dans des pays pauvres selon l’expert : “des fonctionnaires de l’Etat n’hésitent pas à voler aux peuples de l’argent qui auraient pu être investi dans des routes, des écoles, des hôpitaux ou autres services publics essentiels”.

Pour Jean Mballa Mballa, cette crise sanitaire est venue davantage fragiliser un système de gouvernance dans ces deux pays qui manquent d’un véritable dispositif légal de contrôle des flux financiers. “Comme le préconise la Chambre des comptes, il est indispensable d’accélérer la réforme comptable de l’Etat, pour automatiser et centraliser la collecte et le traitement des informations financières”, considère-t-il.

Le combat contre les flux financiers illicites doit être mené à l’échelle de tout le continent africain, estime ce membre du réseau Tax justice Network. “Si ce n’est pas fait, c’est la prochaine génération qui devra à nouveau subir ce fardeau”, prévient-il.

Cet article a été rédigé par [Le Financier d’Afrique] en collaboration avec [Malitribune.com] dans le cadre de “La Richesse des Nations”, un programme panafricain de développement des compétences médias dirigé par la Fondation Thomson Reuters. Plus d’informations sur . La Fondation Thomson Reuters n’est pas responsable des contenus publiés, ceux-ci relevant exclusivement de la responsabilité des éditeurs.

réalisée par Adama Coulibaly et Ghislaine Deudjui

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